Sophie Bringuy et Gilles Euzenat, avec la commission nature et environnement, ont porté au dernier conseil fédéral une motion sur le chantier de « modernisation du droit de l’environnement ». Dans cet entretien à deux voix ils nous font part de leurs analyses et de leurs propositions.

Le gouvernement a ouvert un chantier de « modernisation du droit de l’environnement ». De quoi s’agit-il ?

72 Sophie Bringuy-tract-miniSophie Bringuy* : C’est un chantier qui s’inscrit dans le cadre du grand choc de simplification promu par le Président de la République. Derrière l’expression « modernisation du droit de l’environnement »,il y a bien entendu l’idée sous-jacente que les normes protectrices de la nature, de notre santé, de notre environnement en général, brident l’activité économique, et freinent la sacro-sainte croissance.

L’objectif affiché par le Gouvernement est de clarifier et stabiliser l’ensemble des dispositions juridiques, réglementaires et législatives constitutives du droit de l’environnement, dans le respect de quatre principes : principe de progrès et de non régression, principe de proportionnalité des contraintes procédurales aux enjeux environnementaux, principe d’efficacité, principe d’effectivité. Aujourd’hui, la réalité consiste plutôt en une régression.

G. EUZENAT-1Gilles Euzenat* : Il y a comme un aspect provocateur à vouloir passer l’environnement au dit « choc  de simplification ». Car le droit de l’environnement est récent, souvent affaibli dès sa conception, et trop souvent non ou mal-respecté. Avant que de moderniser un droit soi-disant compliqué, il faut d’abord l’appliquer ! Nous ne nous inscrivons pas dans l’objectif de cette réforme, car on se heurte ici à sa vrai objectif qui est de neutraliser l’écologique vis-à-vis de l’économique, sacralisé

L’objectif du Gouvernement socialiste s’inscrit dans une politique déjà entamée depuis une décennie, sous les Gouvernements de droite. Les quatre principes évoqués ci-dessus ne sont pas justes et bons ; en réalité 1- l’exigence de protection de l’environnement ne cesse de régresser, 2-poser le principe de proportionnalité procéde intrinsèquement d’une suspiscion offensante, d’une minoration de la chose environnementale,  3- les obligations ne sont pas vraiment appliquées, encore moins de manière formaliste, 4- le non-respect est rarement sanctionné. C’est pourquoi, à la Commission nationale Nature & Environnement, nous ne pouvons nous inscrire dans l’objectif de cette réforme.

Q2 : A l’automne 2013 des critiques fortes ont été formulées à l’encontre des « Etats généraux de la modernisation du droit de l’environnement », pourquoi et quelles sont elles ?

Sophie Bringuy : Elles sont de deux ordres et ont provoqué une prise de distance ferme de plusieurs personnes et structures à l’égard du processus, jusque qu’à la fin des Etats généraux au mois de novembre 2013.

D’une part, la méthode en elle-même a été très critiquée. Les conditions d’une réelle participation à la réflexion lancée n’étaient pas réunies. Par exemple, une consultation a été organisée par le Gouvernement d’avril à juin 2013. Malgré des demandes répétées, les participants/tes aux Etats généraux n’ont jamais pu consulter les 800 contributions.

D’autre part, la rupture a été consommée quand des premiers textes, non débattus dans le cadre des Etats généraux, ont commencé à circuler. En effet, en parallèle des réunions pléthoriques des Etats généraux, plusieurs ministères ont travaillé à des « simplifications » du droit de l’environnement, lançant des expérimentations en région. Un des textes les plus connus aujourd’hui, mais ce n’est pas le seul, est celui ouvrant les vannes aux élevages porcins industriels. Publié en décembre 2013, ce décret est tout simplement scandaleux, nourri les motifs de condamnation de la France au titre de la directive nitrate, et opère tout simplement un transfert de charge de l’éleveur au contribuable en matière de modernisation et agrandissement des bâtiments d’élevage.

Gilles Euzenat : Les Associations ont effectivement grondé ; « pendant les travaux, le déménagement continue », pourrait-on dire,. C’est toute le limite de cette gouvernance et c’est pourquoi nous ne nous associons pas à cette entreprise de démolition. C’est l’esprit même de la réforme, ses présupposés, que nous dénonçons, pas seulement le scélérat décret élevages porcins, car c’est l’ensemble du droit de l’environnement qui est « chantourné » depuis une décennie, pour complaire au tout-économique.

Et ce n’est pas qu’une question de participation des Associations, laquelle ne garantit pas le respect de l’environnement, c’est bien en amont et ailleurs que çà se trame : dans l’élaboration des textes au sein du Gouvernement, dans le travail parlementaire, dans l’écoute des lobbies dominants, dans le rôle non garant de l’Administration, dans le jeu hyper-déterminant des Grands Corps de l’Etat, dans la non-démocratie des procédures, etc … Et au-delà, dans la minoration intrinsèque, culturelle, de la nature et de l’environnement….

Il ne faut donc pas« moderniser » le droit de l’environnement ? Dès lors que faudrait-il faire ?

Sophie Bringuy : Tout dépend ce qu’on appelle « moderniser » le droit de l’environnement… C’est un droit assez jeune. Le problème, c’est que régulièrement, on ajoute des couches, sans prendre le temps d’un travail juridique de qualité, permettant d’en améliorer la lisibilité et la cohérence. Dans le cadre des Etats Généraux, France Nature Environnement avait formulé une proposition intéressante de restructuration du code de l’environnement, mais aussi de compléments. Elle permettait de redonner une souffle politique à ce code très technique, mais aussi de prendre en compte des enjeux plus globaux que ce qui est fait actuellement, notamment par rapport au changement climatique ou encore l’économie circulaire. Cette modernisation-là du code de l’environnement est souhaitable, contrairement au détricotage actuel.

Gilles Euzenat : Derrière les mots positifs, il ya les maux. La régression est toujours dissimulée sous la modernisation, dans le secteur de l’environnement comme dans le champ social d’ailleurs, très souvent. La codification du droit de l’environnement a été un grand chantier lancé voilà plus de 10 ans, sous Jospin-Voynet, Il faut le faire vivre. Et au-delà du « toilettage » classique de dispositions redondantes ou décalées, suite à de nouveaux travaux législatifs, lequel toilettage s’opère au demeurant, ce sont respect et application qui s’imposent, en toute loyauté, affirmation et sérénité.

Si nouvelle écriture il doit y avoir, elle doit servir les six principes énoncés dans l’article L 110-1 du Code de l’environnement : protection, précaution, prévention, correction, réparation, participation ces principes d’actions et ne pas servir, comme trop souvent, à dévoyer le droit, à complexifier les choses, à dédouaner les responsabilités. Ce à quoi s’emploient pourtant tous les gouvernements successifs depuis dix ans L’environnement est un sujet technique complexe, par définition, mais la complexité règlementaire est pour l’essentiel liée à la surenchère des lobbies adverses, ceux-là même qui demandent aujourd’hui de simplifier (sic). Après la dérèglementation du droit du travail, il faut AUSSI dérèglementer le droit de l’environnement !…

Un dernier message ?

Sophie Bringuy :Aujourd’hui, même si les Etats généraux ont pris fin, la dynamique continue, et une commission dédiée a été créée au sein du Comité national sur la transition écologique. Le Gouvernement s’était engagé à y soumettre tous les projets de réformes, à permettre le débat, à prendre en compte les contributions. Mais les textes ont continué de pleuvoir, et les procédures engagé ont continue en parallèle du CNTE. Les délais pour travailler les textes soumis à avis ne sont pas suffisants, pas plus que le temps de débat au sein du CNTE. Et de toute façon, les avis émis par les organisations dénonçant la régression en cours ne sont pas vraiment pris en compte. Pire, la veille du salon de l’agriculture, le Président de la République annonçait l’extension du décret élevage porcin aux élevages volailles et bovins…

Pour développer notre force de proposition nous pourrions solliciter l’expertise de partenaires naturels, comme les juristes associatifs. France Nature Environnement comprend un réseau d’une cinquantaine de juristes. Peut-être serait-il intéressant d’instituer des temps d’échanges réguliers pour profiter de leur travail et mieux relayer leurs alertes ?

Gilles Euzenat : nous sommes dans ce domaine comme dans les autres. Le durcissement libéral est réel et assumé, on dédouane l’économie et on transfère la charge de la réparation sur l’impôt et la redevance, donc sur le citoyen et le consommateur… L’Etat, loin d’être garant, est comme trop souvent, co-gérant des intérêts dominants, épousant les intérêts des aménageurs …

Dans ce contexte, nous ne pouvons nous en remettre qu’au droit, qui n’est qu’un moyen, pas une fin en soi et qui doit être au service de valeurs politiques. Plus que le technicisme et contentieux juridiques, nous devons, en matière de nature et d’environnement, mettre la barre où elle doit être, à savoir exiger de l’économie, en amont, l’internalisation des coûts, le non-financement des usages dommageables et une fiscalité responsabilisante et réparatrice.. Quand le droit est sollicité, le mal est fait. Avant la contravention au droit, il faut conjurer l’aggravation du déficit environnemental, déjà fort lourd. Valeurs et principes politiques d’abord, techniques ensuite.

* Sophie Bringuy @BringuyS est Vice-présidente du Conseil régional des Pays de la Loire, en charge de l’Environnement. Gilles Euzenat est président de la Commission nationale nature et environnement d’EELV

Motion adoptée à l’unanimité au Conseil Fédéral des 5 et 6 avril 2014 :

Une « modernisation » du droit de l’environnement, dans le respect de la Charte de l’environnement et au service de la transition écologique