Intervention d’Esther Benbassa, Sénatrice Membre du Groupe écologiste, mercredi 18 janvier 2012

PPR n° 95 : Séjour des étudiants étrangers diplômés
Discussion générale

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre,
Mes chèr-E-s collègues,

Je tenais, tout d’abord, à remercier notre collègue Bariza KHIARI d’avoir été à l’initiative de la présente proposition de résolution.

La France est effectivement en train de « perdre son excellence dans le domaine de l’intelligence » ! Non seulement, elle ne sait conserver les très bons étudiants étrangers qu’elle a formés au sein de ses universités ou de ses grandes écoles, mais, au-delà, les meilleurs de ses propres étudiants s’en vont continuer leurs études à l’étranger et pour beaucoup aux Etats-Unis. Entre 1991 et 2000, 1,3 % de la population totale des chercheurs français s’y est expatriée. Environ un tiers des docteurs formés en France chaque année poursuivent une formation en post-doctorat aux Etats-Unis ou dans les pays de l’Union européenne, entraînant ainsi une perte importante de capital intellectuel pour notre pays. Selon une enquête de 2005, 17,5 % des post-doctorants partis aux Etats-Unis ne rentrent pas, y ayant trouvé un emploi. Si je me permets de souligner le cas de l’expatriation aux Etats-Unis, c’est parce que le système universitaire américain a la réputation d’être l’un des meilleurs au monde et qu’il offre, hélas, un singulier contraste avec le nôtre. Voilà donc autant de jeunes talents qui ne contribueront pas à la compétitivité de l’enseignement supérieur français ! Cette question de la perte d’attractivité de la France au profit des pays anglo-saxons est de ce point de vue rappelée à juste titre dans l’alinéa 7 de la proposition de résolution.

Notre pays, dont la suprématie, dans trop de domaines, n’est déjà plus qu’un souvenir, doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour conserver les élites qu’il a formées, au nombre desquelles figurent bien sûr les étudiants étrangers ayant suivi un cursus dans nos universités, nos laboratoires de recherches, nos grandes écoles, y apportant un souffle d’oxygène et une mixité essentiels. L’alinéa 8 de la présente proposition évoque notre souhait que le Gouvernement prenne en compte, dans sa politique migratoire, les nécessités du rayonnement international de la France, ainsi que l’importance des étudiants étrangers dans la croissance de notre économie. Les étudiants étrangers, une fois leurs études terminées, deviennent autant de représentants de l’enseignement supérieur français, nous aidant à nous implanter plus facilement dans certains secteurs à l’international.

Lors du dépôt du texte qui nous réunit, les étudiants étrangers tombaient sous le couperet, Monsieur le Ministre, de votre circulaire du 31 mai 2011, laquelle avait réduit à une peau de chagrin les autorisations de travail dont ils pouvaient bénéficier. Nous connaissons les retombées de l’application tatillonne de cette circulaire, préjudiciables à la fois pour les étudiants et pour leurs employeurs.

Fort heureusement, la mobilisation du monde universitaire et de la recherche a cette fois porté quelques fruits. On nous annonce une nouvelle circulaire, signée le 12 janvier dernier, qui rétablirait en partie les dispositions instaurées par la loi du 24 juillet 2006, et ne viendrait plus contredire la lettre de l’article L.311-11 du CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile). On fait état également d’un assouplissement du traitement des demandes de changement de statut, ainsi que d’un réexamen des dossiers des étudiants ayant fait l’objet d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) après le 1er juin 2011, à la condition toutefois que les demandes soient redéposées.

Au regard du courriel que j’ai reçu ce matin, et que je vais vous lire, il semblerait que dans les faits les évènements se déroulent malheureusement autrement :

« Je suis chef d’entreprise d’une PME de Transports Routier de Marchandises sur Toulouse. J’emploie actuellement 14 salariés et mon activité. J’ai voulu recruter une jeune étudiante diplômée d’un Master en économie et Gestion mention Marketing et Vente. J’ai procédé à son recrutement en mars 2010, mais son titre de séjour a expiré et j’ai dû la licencier. Durant son recrutement j’ai financé une formation spécifique aux transports afin qu’elle soit plus performante. Le développement de ma société passait par ses compétences et l’ouverture de nouveaux marchés. Entre temps, nous avons déposé un dossier de changement de statut. Ce dernier lui a été refusé par la préfecture de Toulouse et une Obligation de Quitter le Territoire Français lui a été délivrée en juillet 2011. Elle a déposé un recours contentieux auprès du Tribunal Administratif car la décision du Préfet était entachée d’irrégularité.
Une première audience a eu lieu le 4 janvier permettant la contradiction des parties. La décision du Tribunal Administratif devait être connue le 20 janvier prochain. Malheureusement, ce matin des policiers ce sont présentés au domicile de la personne et ont procédé à son arrestation. Je vous interpelle sur son cas car cette personne est essentielle pour le développement de ma société. Durant sa période parmi nous, elle avait développé le portefeuille client et nous avions comme projets avec une entreprise reconnue sur Toulouse d’ouvrir une succursale en Algérie. »

Permettez-moi donc de m’interroger sur la façon dont seront en pratique traitées ces nouvelles demandes. On sait les bureaux des étrangers déjà débordés, on connaît les files d’attente interminables devant les préfectures et sous-préfectures, et on imagine donc aisément les difficultés d’application de ces nouvelles « consignes ».

Rappelons-nous, pour finir, que nombre d’étudiants étrangers venus s’installer dans notre pays ont fait, hier, la gloire de la France. A commencer par Marie Curie, bien sûr, et sans oublier tant d’artistes, de musiciens, d’écrivains, de savants de haute volée. Certes, tous les étudiants qui choisissent la France ne sont peut-être pas dignes d’une telle attention, mais misons sans rechigner sur ceux d’entre eux qui indéniablement la méritent. Misons sur l’avenir. Ne dilapidons pas ce réservoir de compétences et d’intelligences.

Pour toutes ces raisons, les sénatrices et sénateurs du groupe écologiste, voteront évidemment pour cette proposition de résolution.