Pour dénoncer le service national illimité, le travail forcé esclavagiste et les réseaux d’intimidation et d’extorsion de fond de la diaspora érythréenne par le régime d’Issayas Afeworki

Exposé des motifs

En 2013, le monde découvre abasourdi que la majorité des victimes du naufrage de Lampedusa étaient des réfugiés érythréens. En 2015, ce sont près de 40 000 Érythréens qui sont arrivés dans l’Union européenne, par la Méditerranée. Mais que sait-on vraiment de ce pays ? Et pourquoi ses habitants cherchent-ils à le quitter ?

L’Érythrée est située à l’est du continent, dans la Corne de l’Afrique. Ses voisins sont au Nord et à l’ouest le Soudan, au sud l’Éthiopie et Djibouti au sud-est, avec ses 1150 km de côte, il fait face au Yémen de l’autre côté de la mer rouge

D’une superficie totale de 117 600 km², L’Érythrée compte environ 6.5 millions d’habitants, dont 10 % vivent à Asmara, la capitale, dans le centre du pays. Le PIB par habitant est estimé à 200 USD. L’Érythrée est devenue indépendante après trente ans de lutte armée (1961-1991, un des conflits les plus long d’Afrique), menée par le Front populaire de Libération de l’Erythrée (FPLE) avec à sa tête Issayas Afeworki, contre le voisin Ethiopien qui l’avait annexé en En 1962, pour en faire une simple province de l’Ethiopie.

Depuis son indépendance, L’Erythrée est dirigé par le Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ) (parti unique issu en 1994 du Front populaire de Libération de l’Erythrée (FPLE) qui mena la lutte pour l’indépendance). Issayas Afeworki président depuis l’indépendance en 1993, qui était déjà à la tête du FPLE pendant la guerre de libération, a instauré un régime totalitaire des plus sévères en Érythrée, qualifié souvent de Corée du Nord de l’Afrique, mi-caserne, mi-prison ou goulag à ciel ouvert.

Le pays n’a jamais connu d’élections, Il n’y a pas de Constitution et une absence totale d’état de droit et de liberté pour les médias. Dans le classement de la liberté de la presse de Reporters sans Frontières, l’Érythrée occupe la dernière place depuis 2007. On y déplore également, l’absence de liberté de religion, un recours massif aux détentions arbitraires, aux détentions au secret et à la torture, et un service national officiel de 18 mois mais qui est devenu indéterminé depuis 1998 qualifié d’esclavage par les Nations unies, utilisant comme prétexte la situation tendue sur le plan de la sécurité entre l’Érythrée et l’Éthiopie.

Pour se maintenir au pouvoir, le régime n’a cessé d’externaliser ses problèmes internes en provoquant des guerres avec ses voisins. Ainsi Au cours des vingt dernières années, il a été en guerre contre le Soudan (1993-2003), le Yémen 1995 et Djibouti en 1996 et de nouveau l’Ethiopie (1998-2000). En outre, le régime est accusé de soutenir les islamistes d’Al-Shabab en Somalie.

Devenant un danger pour ses voisins et une force très déstabilisante dans la Corne de l’Afrique, l’Erythrée fait l’objet de sanctions au Conseil de sécurité des Nations Unies :

  • La résolution 1907, adoptée le 23 décembre 2009 : elle condamne l’Erythrée pour le non-respect de la résolution 1862 concernant le différend frontalier avec Djibouti et pour son soutien aux islamistes en Somalie ; elle impose un embargo complet sur les armes ;
  • La résolution 2023, adoptée le 6 décembre 2011 : elle condamne les actions de l’Erythrée nuisant à la paix et à la sécurité dans la Corne de l’Afrique ; elle condamne la tentative d’attentat contre le Sommet de l’Union africaine à Addis Abeba en janvier 2011.

Ces conflits avec ses voisins, ont fait plus de 100 000 victimes et ont provoqué une grave crise économique et sociale qui a entraîné une instabilité politique et accéléré l’émigration. Le gouvernement a lancé en 2001 un programme de relance, mais les difficultés posées par les tensions persistantes avec l’Éthiopie et la fragilité du contexte régional sont un frein considérable au développement du pays. L’Érythrée, qui manque de ressources en eau, est également très affecté par l’impact du changement climatique dans la Corne de l’Afrique avec un risque de famine dans les prochaines années. Ce que le régime continue de nier, et refuse de prendre les mesures qui s’imposent.

La situation des droits de l’homme :

Dans son rapport du mois juin 2015 la commission d’enquête des Nations unies sur les droits de l’homme en Érythrée a conclu que les violations comprenant exécutions extrajudiciaires, actes de torture (y compris sévices sexuels et esclavage sexuel), service national indéterminé comme forme d’esclavage, travail forcé et politique du « tirer pour tuer » à la frontière, peuvent constituer des crimes contre l’humanité;

A plusieurs reprises, l’Érythrée a promis qu’elle réduirait le service national à 18 mois, mais elle vient d’annoncer aujourd’hui qu’elle poursuivra sa politique de la conscription pour une durée indéterminée tout en augmentant la faible indemnité des conscrits de 700 %, un engagement pris juste après la dévaluation de la monnaie nationale, le Nakfa;

Dans ce contexte, la situation des femmes mérite une attention particulière. Toutes les formes de violences contre les femmes sont présentes et à tous niveaux de la société érythréenne : discriminations et inégalités flagrantes, violences sexuelles, institutionnelles, économiques et administratives. Concernant les violences sexuelles extrêmes, elles sont fréquemment commises au sein de l’armée et dans des camps d’entraînement militaire. De plus, les femmes sont survictimisées du fait qu’elles ne peuvent pas porter plainte contre leurs auteurs qui restent impunis. Les bons alimentaires, octroyés traditionnellement par le gouvernement aux familles démunies, sont supprimés aux femmes dès lors que les hommes (conjoints ou garçons) ont fui à l’étranger. Face à cette situation, pour se protéger et pallier au manque de ressources, femmes et filles sont obligées de  quitter le pays, sans aucune perspective de survie.

Pour rappel, l’Érythrée, qui figure parmi les 15 pays les plus pauvres au monde, reste largement dépendante de l’aide extérieure. Mais cette aide, en provenance notamment de l’Europe, en l’absence d’indicateurs socio-économiques et d’appareil statistique, est utilisée dans une grande opacité. Les observateurs des Nations unies ont maintes fois appelé « à une vigilance appropriée, au suivi et au contrôle intégral de la dispersion des montants importants de l’aide accordée à l’Érythrée », sans quoi les risques sont nombreux que l’aide soit utilisée pour financer les rébellions dans la région.

D’autre part, la plupart des organismes d’aide ont été contraints de quitter le pays après qu’une loi ait été promulguée par le régime, en mai 2005, en vue de contrôler leurs activités;

Les réfugiés

Aujourd’hui plus de 300 000 Érythréens, sur une population estimée à 6,3 millions d’habitants, ont fui le pays depuis 2000. Le HCR estime que quelques 5 000 Érythréens quittent le pays chaque mois, ce qui s’explique dans une large mesure par la persistance de graves violations des droits de l’homme.

Jusqu’à 2013, les réfugiés érythréens fuyaient principalement vers les deux pays voisins, le Soudan, l’Ethiopie, ainsi qu’Israél via le désert du Sinaï égyptien

Mais en 2013, Israël a érigé une clôture barbelée le long de sa frontière avec l’Égypte, et l’armée égyptienne a lancé une offensive contre les islamistes du Sinaï. Les filières de migrants ont donc changé d’itinéraire et se dirigent désormais l’Europe via vers la Libye.

Ces toutes dernières années, plus de 30 000 Érythréens ont fui chaque année vers l’Union européenne. En 2014, 61 % des demandes d’asile ont abouti à l’octroi du statut de réfugié dans l’Union, tandis qu’une partie supplémentaire de 27 % des demandeurs ont bénéficié de la protection subsidiaire, ce qui montre la gravité de la persécution en Érythrée. D’ailleurs, Le régime érythréen applique la politique du « tirer pour tuer » à ses frontières contre les Érythréens fuyant le pays et qu’en parallèle, l’armée et les garde-frontières sont impliqués dans la traite des êtres humains;

Le contrôle de la diaspora érythréenne

le régime étend son emprise totalitaire sur la diaspora érythréenne, en procédant à l’extorsion de fonds auprès de ses ressortissants par le biais d’une taxe de 2 % sur les revenus d’expatriés, en faisant de l’espionnage et s’en prenant aux membres de la famille restés en Érythrée, au motif d’actes perçus comme répréhensibles. Cette surveillance par le régime de la diaspora est poussée jusqu’au niveau des interprètes participant aux entretiens des demandeurs d’asile qui se sont révélés très liés au régime érythréen.

Aujourd’hui l’ensemble des organisations internationales de droits de l’homme, humanitaires, les organisations de la diaspora érythréenne, qui viennent de lancer une pétition, s’alarment de cette situation dramatique qui ne cesse de s’aggraver. Le sommet de la Valette à Malte du mois de novembre 2015, a réuni l’ensemble des chefs d’Etas de l’UE et de l’Union africaine pour débattre de la « crise migratoire », et de l’application du processus de Khartoum qui est le nouveau programme d’externalisation de la gestion de la migration auprès des pays de départ et de transit de la migration. Le régime totalitaire d’Issayas Afeworki y a vu une opportunité pour légitimer sa présence en qualité de partenaire incontournable dans la lutte contre l’immigration clandestine et le trafic des êtres humains et s’imposer comme garant de la stabilité de la région pour la lutte contre le terrorisme. L’Europe, tétanisée par les derniers attentats sur son sol et privilégiant une politique sécuritaire, est tentée de nouer des partenariats avec des pays de la corne de l’Afrique qui ont un régime totalitaire comme l’Erythrée, autoritaire comme le Soudan, espérant ainsi lutter contre l’immigration « illégale » et les réseaux des trafiquants. Partant, elle oublie que les services de sécurité de ces mêmes régimes sont largement impliqués dans ces réseaux et sont la source de la déstabilisation de la région.

Par ailleurs, l’Europe ne conditionne pas le versement d’aides à un soutien logistique de gestion et à une exigence de traçabilité de son utilisation.

 

Motion

Le Conseil Fédéral d’Europe Ecologie Les Verts, réuni les 09 et 10 avril :

Salue et s’associe à la résolution historique sur l’Erythrée adoptée par le parlement européen en date du 10 mars à une large majorité qui rappelle clairement que les réfugiés érythréens fuient les violations graves des droits de l’homme et un service national indéfini qui constitue l’esclavage. 

  • Condamne le recours que fait le gouvernement érythréen à la « taxe de la diaspora » de 2%, qui est collectée par extorsion et d’autres manœuvres illégales auprès des Érythréens vivant en France et utilisée, en violation des résolutions des Nations unies, pour financer des groupes armés dans des pays voisins et ainsi déstabiliser la région;
  • Condamne le service national à durée indéterminée pratiqué par le régime érythréen et son utilisation comme travail forcé qui constitue une forme d’esclavage condamné par le conseil des droits de l’homme de l’ONU et invite le gouvernement a faire pression sur le gouvernement érythréen pour respecter la durée légale de 18 mois
  • Demande au gouvernement français d’enquêter sur les réseaux de contrôle et de la surveillance en France, de la diaspora érythréenne mise en place par le parti au pouvoir en Erythrée (FPDJ), qui est contraire aux principes démocratiques et l’état de droit, et créent des systèmes d’intimidation et d’extorsion d’argent; et d’agir pour mettre fin à la taxation de la diaspora, d’être vigilant sur l’utilisation par le régime de manifestations culturelles pour camoufler des activités de renseignement hostiles au sein de la diaspora
  • Demande au gouvernement français d’être vigilant sur les activités de l’ambassade de l’Érythrée en France et de veiller à ce que les demandes d’asile ne soient en rien liées à la coopération des ambassades érythréennes; de protéger pleinement les droits d’asile de tous les réfugiés érythréens en Europe; de veiller à ce que les interprètes et autres intermédiaires soient bien sélectionnés pour empêcher la fuite d’informations confidentielles sur les opposants politiques du régime au gouvernement à Asmara
  • Dénonce les entreprises multinationales qui investissent en Érythrée dans l’exploitation des mines d’or au sein de l’Erythrée dont les employés érythréens sont souvent des travailleurs forcés et exigent qu’elles soient sanctionnée
  • De faciliter l’accueil des réfugiés et déplacés érythréens qui ont subi les sévices perpétrés dans leur pays et de la part des réseaux de trafiquants
  • Demande qu’une attention particulièrement soit portée en faveur des femmes traumatisées par les violences multiples exercées sur elles en Erythrée et qui se sont prolongées tout au long de leur parcours migratoire
  • De soutenir la transition pacifique vers la démocratie en Erythrée en soutenant des différentes forces démocratiques au sein de l’opposition érythréenne de la diaspora.
  • Demande aux autorités françaises de soutenir financièrement, Radio Erena, la seule radio érythréenne libre soutenu par RSF, qui émet de Paris et qui sauve tous les jours des dizaines de réfugiés des mains des trafiquants, et depuis devenu la radio de l’espoir de la diaspora
  • Demander à ses élu-e-s territoriaux de mobiliser leurs instances pour développer aide et soutien pacifique aux acteurs érythréens et à ses parlementaires d’organiser une réunion d’information et mobilisation de la représentation nationale.
  • De lancer une grande campagne nationale et à l’échelon européen, de sensibilisation au drame du peuple érythréen et notamment pour dénoncer le service national indéterminé et le travail forcé en y associant ses élus mais également l’ensemble des forces politiques, syndicales et les ONG et les représentants de la diaspora érythréenne

Aux pays européens et, en particulier, à la France d’ouvrir ses frontières aux réfugiés érythréens et de prendre des engagements chiffrés pour leur venir en aide, notamment en activant la directive européenne de 2001 dite de « protection temporaire », qui permettrait d’ouvrir largement les frontières de l’Europe face à cette situation d’urgence.

Unanimité pour

——
Télécharger la motion
Retour aux décisions du Conseil fédéral des 09 et 10 avril 2016