Exposé des motifs

La mondialisation capitaliste et néolibérale crée partout des hyper-centres : des métropoles aux tours s’élançant vers le ciel, aux grands boulevards où filent des voitures par, des alignements de boutiques placardées de publicités tapageuses…Les métropoles attirent à elles les regards, les capitaux, les ressources humaines et matérielles ; elles colonisent les imaginaires et les homogénéisent ; elles excluent et précarisent ceux et celles qui ne s’intègrent pas à la course folle de la croissance et qui sont rejetés dans les interstices.

La métropolisation du monde crée par revers une ghettoïsation des bords du mondes : ainsi se forment les « banlieues » et « périphéries », définies et vécues dans leur rapport inégal aux centralités. Loin du récit de la « start-up nation », ici se racontent des histoires sombres d’émeutes, de racket, de criminalité, de pauvreté, histoires qui s’étalent en unes et en reportages à sensation. L’œil de la caméra et la plume du journaliste ne relèvent que la violence et l’ombre, et au passage quelques trajectoires de vie qui parviennent héroïquement à déjouer les statistiques. La vie qui se déploie pourtant au pied des tours et des barres recouvre une réalité sociale complète et complexe, dépassant de loin les récits dominant le discours médiatique et politique. Il se peut même que cette quotidienneté des banlieues soit la matrice d’une des formes possibles de la société écologique que nous travaillons à faire advenir : ici s’inventent des formes de hors-système, des solidarités de galère, des contre-cultures qui contestent le langage dominant et les rapports de pouvoir qu’il implique. Ici se cristallisent des luttes locales qui s’opposent à ce que les banlieues deviennent les dépotoirs des centralités, où l’on devrait se satisfaire de moins : moins de services publics, moins d’air, moins de vert, moins de rêve, moins de beauté. Si écologie sociale il y a, si écologie populaire il pourrait y avoir, il faut que nous fassions émerger une pensée nouvelle de ces territoires et méprisés et des vies qui s’y déploient, et que nous participions à leur réinvention. Il faudra que nous puissions inventer un langage politique extrêmement concret, sensible et quotidien, qui puisse poser des mots sur cette « écologie de la débrouille », qui est parfois une écologie de la survie, faite de bricolages et recyclages, d’économies d’eau et de gaz, de « fait maison » et de jardins partagés, et qui est motivée moins directement par un souci du « climat » ou de la perte de la biodiversité que par celui de contraintes budgétaires extrêmement concrètes.

Il faudra que nous puissions raconter ces histoires qui donnent sens à cette idée que fin du monde et fin du mois constituent un seul et même combat. A partir de ces territoires, nous comprenons l’absurdité de la gouvernance par grands projets fantasmés par une poignée de technocrates et d’élu.e.s quelque fois hors-sol : nous comprenons qu’en ce XXIème siècle qui voit remettre en cause la possibilité pour les communautés humaines de respirer, de boire une eau saine, de manger sans s’empoisonner, de se chauffer, de se déplacer, le cœur des politiques publiques doit être la garantie pour tous de bien vivre.

A côté des « ghettos », se mêlant parfois à eux, nous trouvons également ces longues étendues de banlieues pavillonnaires, faites de rues bordées de bâtisses individuelles. Ces rues sont celles du répit et du calme, les habitants y ont fait le choix de la tranquillité en sacrifiant la proximité d’avec les centralités métropolitaines. L’étalement urbain est indissociable de la civilisation de l’automobile, qui permet de dissocier le lieu de l’habiter et les lieux cadrant les autres dimensions de la vie (consommation, travail, loisirs, culture et éducation). Il est indissociable également du développement des grandes surfaces et des parkings qui l’accompagnent. Ces banlieues pavillonnaires ont été le symbole d’une société urbaine et prospère, la maison individuelle est devenue le symbole d’un certain aboutissement de trajectoires individuelles et professionnelles. Néanmoins le rêve s’effrite : des décennies de politiques néo-libérales ont créé des fragilités, des cassures et des colères jusque dans ces rues tranquilles. Les quotidiens sont tissés d’inquiétudes, des frustrations et stress liés aux heures passées dans des embouteillages et des RER retardés et du constat de la disparition du service public. Le mouvement des gilets jaunes prend entre autres racine ici, au moment où l’essoufflement d’un modèle économique ayant oublié en chemin l’humain et les communs généralise la précarité et le mal être, qui touchent aujourd’hui des tranches de la société jusque-là épargnées.

Au sein de ces espaces périphériques se dessinent par ailleurs des formes de métissage entre nature et ville, par lequel l’urbain et le rural, le minéral et le végétal, s’entremêlent et se fondent l’un dans l’autre, défiant les catégorisations trop tranchées. Ici il suffit de suivre une route un certain temps pour qu’elle plonge dans les champs, à la rencontre d’un maillage de villages témoignant vaillamment de l’histoire agricole et paysanne de ces terroirs qu’il nous faut aujourd’hui redécouvrir et régénérer.

C’est donc ainsi qu’il faut penser les « périphéries » : des lieux recouvrant une diversité de réalités paysagères et sociales, des lieux dont on a néanmoins du mal à penser la cohérence et l’identité tant on nous a habitué à les penser par rapport à des centralités métropolitaines avec lesquelles elles entretiennent des relations de dépendance, d’opposition ou de servitude. Il faut, comme le formule Bruno Latour, s’employer à une re-description des conditions d’existence dans ces territoires aujourd’hui secoués par des crises plurielles et complexes.

Il faut discerner dans la diversité des paysages et des réalités sociales constituant ces « périphéries » un potentiel de renouveau d’activité et une source de nouvelles formes de cohérence territoriale : en s’acheminant vers l’autonomie alimentaire et énergétique, en créant sur les territoires des formes d’activité et d’emploi qui ne soient pas dépendantes de l’implantation de grandes firmes et des logiques capitalistes, les « périphéries » se reconstitueraient en nouvelles centralités aux identités singulières. L’écologie politique est fondamentalement une pensée de l’autonomie et de la diversité des territoires. Elle stipule que chaque espace a sa spécificité, sa valeur, ses richesses, et qu’à partir de cette valeur et de ces richesses peut partout se construire des trajectoires propres et émancipatrices. Elle considère qu’un territoire est en soi un lieu de vie et d’interactions, et s’oppose donc à concevoir que des territoires puissent être entièrement dépendants de logiques économiques extérieures. Elle s’oppose également au traitement purement sécuritaire et discriminant des QPV (Quartiers Politique de la Ville), tout comme elle s’oppose à l’idée qu’une ville puisse être un simple « dortoir » permettant un répit avant de replonger dans la suractivité métropolitaine. La pensée écologiste intègre les notions de limites, d’équilibre, et de liberté ; elle se concrétise dans la construction de lieux de vie où l’habiter convivial et serein puisse se réaliser.

Dans un siècle où le dérèglement climatique, les guerres et les catastrophes naturelles mettront sur les routes des hommes, femmes et familles par millions, il faut aussi que ces périphéries de zones de transit deviennent de véritables lieux d’accueil et d’hospitalité. La concentration des services administratifs et des services d’aide dans les grandes villes condamne les nouveaux arrivant à s’accommoder d’ « habiter » les interstices : les trottoirs, les couloirs du métro, les bords d’un canal, accueillent ces errances sans fin entre préfecture, CADA, 115, hôtels, foyers… C’est envers ces personnes sans ancrage ni repères que se manifeste sous ses formes les plus brutales l’inhumanité indifférente des métropoles. L’un des enjeux dans la tâche de construction de nouvelles centralités, plus douces et plus humaines, est de redonner aux communautés la capacité et les moyens humains, matériels et culturels d’accueillir.

Il nous faut donc, en tant qu’écologistes, développer une pensée propre et positive des périphéries, avec une vision distincte de ce que, politiquement parlant, il est possible d’y faire. Ce travail est d’autant plus important que l’échéance des municipales approchant, nous aurons à caractériser notre vision de ce que signifierait la transition écologique pour ces territoires. Il s’adjoindra bien entendu à une réflexion plus globale sur la nécessaire réforme territoriale des cadres définissant l’articulation entre communes, intercommunalités, métropoles et régions. Il nous faut penser ces « périphéries » et ces « banlieues » pour elles-mêmes, afin justement qu’elles cessent de ne se définir que par leur position de dépendances. Il nous faut des outils pour penser chacun de ces territoires périphériques au-delà des étiquettes et catégorisations (quartiers populaires, banlieue pavillonnaire, ruralité…) qui y sont aujourd’hui accolées : il se peut bien que la spécificité, la richesse et le potentiel d’autonomie de ces espaces se situent justement dans l’hybridité de ces formes et dans leur entrecroisement.

Sur la base de ces constats, nous proposons la constitution d’un groupe de travail sur la question des périphéries et de leur identité spécifique, dont les activités pourront porter sur la préparation d’outils de réflexion et l’élaboration de propositions concrètes en vue des municipales.

Motion

Méthode et objectifs

– Nous viserons à rassembler dans ce groupe de travail des citoyens et citoyennes, militants et militantes habitant ces espaces périphériques et nous baserons sur leurs vécus différenciés pour travailler la question de la spécificité des banlieues et périphéries, sur la base de l’idée que c’est bien à partir de ces savoirs vécus et incarnés que peuvent se construire des politiques publiques et des projets de territoires en capacité de s’ancrer concrètement.

– Le groupe de travail pourra se réunir à l’occasion de rencontres (séminaire, assises…) organisées dans des communes situées dans les banlieues et périphéries, et auxquelles seront conviées une diversité d’acteurs et d’actrices contribuant à repenser et transformer ces territoires.

– Nous pourrons travailler en lien avec le groupe ruralités : les deux partagent une approche territoriale visant à souligner et approfondir la spécificité des espaces par-delà les étiquettes et les sens préétablis, et à contrecarrer la domination du phénomène urbain sur les imaginaires et les pratiques politiques.

– Nous viserons à élaborer des outils de travail et de réflexion à destination des candidat.e.s se présentant aux élections municipales dans les communes de banlieue et de périphérie urbaine, afin de les appuyer dans la construction de visions et de programmes s’appuyant sur les valeurs et les richesses propres de leur territoire, par-delà son caractère périphérique.

– Ce groupe de travail reposera la question de l’organisation territoriale, en portant une réflexion sur les modalités d’articulation entre les différentes échelles de décision (communes, intercommunalités, départements, métropoles, régions…) et la répartition du pouvoir politique entre chacun d’entre elles.

– Pour finir, ce groupe de travail permettra d’entamer une réflexion sur le mouvement des gilets jaunes qui prend naissance dans les périphéries et banlieues, et de proposer un cadre pour penser la liaison entre ce mouvement et le combat écologique, entre autres sous l’angle de ce qu’il est convenu d’appeler « l’écologie populaire ».

Unanimité pour

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du Conseil fédéral des 22 et 23 juin 2019