Le Havre – Jeudi 24 août – Seul le prononcé fait foi

Parce que notre combat est planétaire et que nous sommes citoyennes et citoyens du monde je veux d’abord vous parler de pays lointains, mais qui résonnent en nous. Je vous propose de commencer par une minute de bruit.

Pour celles que l’on oublie. Celles que l’on veut effacer. Que notre bruit soit l’écho du cri interdit des femmes afghanes que l’on emmure dans l’isolement le plus absolu ; et des femmes iraniennes qui nous ont offert le plus beau des slogans, pour le plus juste des combats: femme vie liberté.

Faites une minute de bruit pour elles.

Après cette minute de bruit, Mes premiers mots seront pour toi Marine.

Pour te dire que ma solidarité est indéfectible. Pour te dire que je connais la difficulté de ta tâche. Pour te dire que tu as ma confiance et mon soutien. Nous pouvons avoir des désaccords, mais ils ne mèneront pas à la désunion. Car toi comme moi, nous avons connu les années difficiles où, au fond du trou, le parti vert n’a dû sa survie qu’à notre capacité à tenir bon, groupés et solidaires. Il y avait plus de travail à faire que de bras pour l’accomplir et nous avons joué le rôle de petites mains pendant des années. Nous savons toutes les deux que le désordre n’est pas la solution, et que la cacophonie est la pire ennemie de l’écologie.

Le peuple vert n’a pas la discipline de l’armée rouge. C’est vrai. Mais pour reprendre les mots de David Cormand que je salue chaleureusement, le talisman de l’unité est la condition de la réussite. Je dis donc les choses clairement: entre la secrétaire nationale et la tête de liste que vous avez choisie, il n’y a ni crise, ni conflit. Il y a juste deux femmes qui font leur travail et disent leur part de vérité quand elles croient nécessaire de le faire.

Je résume mon état d’esprit d’un mot: Marine, on est ensemble.

Cyrielle on est ensemble. Sandrine, Yannick, Eric, on est ensemble.

Serons-nous toujours d’accord sur tout? Non assurément.

Mais nous n’avons pas le droit de perdre, et n’avons donc pas le droit de nous diviser en vaines querelles, par nous-même alimentées.

Nous sommes en pleine canicule les française et les Français suffoquent. Les plus fragiles souffrent plus que tous les autres. La crise écologique est à portée de conscience pour des millions de personnes. Alors notre responsabilité est d’expliquer ce qui se passe, de proposer des solutions, pour adapter nos sociétés au nouveau régime climatique.

Le gouvernement en place parle beaucoup et agit peu en matière d’écologie. Il a beaucoup promis, beaucoup menti, beaucoup déçu aussi. Je dis à celles et ceux qui de bonne foi ont cru aux postures réformatrices d’Emmanuel Macron que la vérité écologique de son action est celle d’un homme qui aggrave la crise parce qu’il refuse de prendre les décisions nécessaires. Et cela pour une raison simple: il ne comprend pas la dimension systémique de la crise écologique. Il lui manque une vision claire et une volonté réelle. Il est prisonnier des lobbies et d’une vision obsolète. C’est clair en France et c’est clair au niveau européen.

L’entretien qu’il a donné au Point est la marque d’un esprit engoncé dans des certitudes dépassées. Il le dit d’ailleurs lui-même : son Europe, c’est l’Europe des marchés. Une Europe qui n’a ni cœur, ni âme. Celle que nous, écologistes, défendons, c’est une Europe de la paix, une Europe de l’espoir, une Europe terre des droits et libertés et déterminée à vivre en harmonie avec le vivant !

Je n’en dis pas plus aujourd’hui, mais j’y reviendrai, en particulier sur l’immobilisme européen d’Emmanuel Macron.

*

Je vous parle depuis cet instant suspendu où je suis déjà candidate mais pas encore en campagne. Je vous parle depuis une inquiétude, et je vous parle depuis une exigence. L’inquiétude c’est celle qui nous étreint face au dérèglement du monde. L’exigence c’est celle qui nous mobilise pour construire une issue à la conjonction des crises qui menacent notre avenir.

Qu’on l’appelle éco anxiété, solastalgie, collapsologie… notre inquiétude est un pont bâti entre l’intime insurrection qui nous guide, et la socialisation des moyens de lutte contre la dégradation accélérée du vivant qui se déroule sous nos yeux. Notre exigence doit nous conduire à nous dépasser.

C’est l’enjeu des EGE. C’est aussi l’enjeu de la campagne des européennes. Nous devons chercher à rassembler le plus largement possible.

Vous m’avez fait l’immense honneur de me choisir pour conduire notre liste aux élections européennes. C’est une grande responsabilité, qui intervient dans un moment difficile, un moment de bascule pour l’histoire de l’humanité. Un moment ou les écologistes doivent exceller dans l’art de convaincre de la justesse de leurs positions, et où nous sommes attaqués en permanence.

Nous avançons sous la mitrailles des caricatures, des mensonges et des insultes. Alors essayons de ne pas apporter de l’eau au moulin de nos détracteurs. Nous sommes faillibles, et je suis faillible. Si je tremble, soutenez-moi. Si je cède, bousculez-moi. Si je m’arrête, dépassez-moi, car jamais le combat pour la justice et le vivant ne doit connaitre d’interruption.

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On ne parle jamais de nulle part. Je suis une jeune femme de 36 ans, activiste pour le climat, militante pour l’égale dignité de toutes et de tous qui a choisi le droit comme outil, et l’écologie comme combat.

Mon engagement est le fruit d’une histoire. Je suis née de parents militants à ATD Quart Monde. Je leur dois tout et leur vision a structuré la mienne. C’est à mon tour d’apporter ma pierre à l’édifice des luttes qui libèrent. C’est à mon tour de me lever contre les injustices. C’est à mon tour de faire entendre la voix de celles et ceux qu’on n’écoute pas.

Et oui je le répéterais chaque fois qu’on me donnera la parole: nous devons être à l’écoute des plus humbles, et nous laisser guider par leur expérience pour guider notre action politique car celles et ceux que le système a placé en bas de l’échelle sociale connaissent mieux que quiconque la fragilité de l’existence.

Cette conviction n’est pas négociable, elle me porte et si j’ose dire, me hante. Car qu’est-ce-que l’écologie si ce n’est la prise de conscience de la fragilité? Fragilité individuelle et fragilité collective, fragilité du miracle de la vie, fragilité des écosystèmes, fragilité des sociétés, fragilité de l’humanité.

Et si le monde est fragile, nous avons le double devoir d’être forts pour le protéger, et doux pour le préserver.

Je vous invite donc à conjuguer force et douceur. J’irai même plus loin et je vous invite à prendre conscience que la douceur est une force, une puissance politique dont je vous appelle à mesurer l’étendue.

La douceur n’est pas la mièvrerie. Elle n’est pas la version mercantile et publicitaire à laquelle on la réduit pour mieux assigner les femmes à des positions subalternes à grand renfort d’assignations patriarcales.

Elle est la volonté de soin, elle est le souci de soi et la sensibilité à autrui, elle est la caresse qui réconforte, elle est le geste qui sauve, elle est le refus de la violence, elle est une promesse de durabilité, une recherche d’harmonie. Elle est une entrée en communion, elle est le chemin du sensible.

La douceur n’est pas ce qui cède, elle est ce qui résiste.

Je veux en réhabiliter les vertus curatives et la portée révolutionnaire. Dans l’Age de la colère, quand le ressentiment est le carburant des extrêmes, quand la violence est la grammaire proliférante de la haine, quand des brasiers s’allument et que la vie s’éteint, la douceur est un horizon de sauvegarde.

J’essaye d’imaginer les articles sur mon discours.

« après avoir insisté sur l’unité des écologistes, la tête de liste des écologistes appelle à faire de la douceur une force politique. »

J’entends déjà les ricanements de la droite et la stupéfaction d’une partie de la gauche.

Et bien j’assume. Je sais que la douceur n’est pas cotée en bourse. C’est parce qu’elle n’a pas de prix. Et je le répète, la douceur est politique. Son occultation du registre des valeurs politiques en dit long sur la crise de civilisation que nous traversons.

Allez dire à nos anciens, maltraités dans les Ephad pour augmenter les dividendes des actionnaires que leur vieillesse n’a pas besoin de douceur.

Allez dire aux exilés, ballottés par le chaos du monde et qu’on abandonne dans le désert, qu’on laisse se noyer en mer, et que partout on traque en les traitant comme des pestiférés, que leur vie ne mérite pas la douceur d’un accueil digne.

Allez dire aux victimes de féminicides que la douceur n’est rien. Allez dire au petit Nahel, mort sous les balles d’un policier ivre de son pouvoir que le monde n’a pas besoin de douceur.

La douceur c’est l’autre nom de l’humanisme, l’autre nom du féminisme, l’autre nom de l’écologie. C’est le vrai drapeau des humiliées, le seul espoir de la sauvegarde, le dernier rempart contre le fascisme, parce que c’est la meilleure part de ce que nous sommes.

Soin, écoute, sollicitude, fragilité, sensibilité, empathie, consentement, solidarité voilà les piliers de la politique de la douceur.

Voilà pourquoi dans la campagne à venir je défendrai une Europe du care, c’est à dire une Union européenne qui, partant de l’analyse des vulnérabilités du monde, propose une protection aux plus humbles, et fasse de la préservation du vivant une règle.

Oui le Care est encore une idée neuve en Europe et les écologistes la défendront avec force.

Le grand défi de l’Europe est de passer d’une économie ensorcelée par le démon du profit à une économie habitée par le souci de la vie. Dit en termes plus prosaïques, il s’agit de réencastrer l’économie dans les limites planétaires et de répondre aux besoins sociaux fondamentaux. C’est le fondement d’une économie post croissance, qui tienne compte de la finitude de la planète. C’est le seul chemin économique viable et compatible avec la crise écologique. Et c’est à l’échelle européenne que nous devons conduire la transition de ce modèle économique.

C’est aussi à l’échelle européenne que se joue la bataille pour un autre modèle agricole. Merci à Benoit Biteau de le mener avec tant de courage et de constance. Nous continuerons à lutter ensemble contre les ravages de l’agro-industrie qui condamne les paysans et détruit l’environnement. Tout est lié, et je veux donc aussi saluer le convoi de l’eau parti de Sainte-Soline et qui porte l’idée que l’eau est un commun naturel précieux que nous devons absolument préserver, économiser, partager équitablement.

Les communs naturels sont mal protégés, exposés à la prédation d’un système qui les exploite sans limite. Avec Caroline Roose, au parlement et sur le terrain, nous nous sommes battues pour la préservation des océans contre l’exploitation minière en eaux profondes et nous avons contraint le gouvernement d’Emmanuel Macron à changer de position et à demander un moratoire. Les écologistes se battent et les écologistes remportent des victoires.

La bataille sur la loi de restauration de la nature au parlement a été terrible. Mais nous avons réussi à ne pas perdre. Et les lignes de partage étaient claires: les écologistes soutenus par la gauche ont défendu le texte, et la droite et l’extrême droite l’ont combattu.

Voilà le triste visage de la scène politique européenne : une droite cannibalisée par l’extrême droite. Alors que faire?

*

Nous devons lors de ces élections européennes envoyer siéger le maximum de députés écologistes. Chaque député gagné est un siège arraché au bloc des droites. Chaque voix compte. Nous ne pouvons pas nous payer le triste luxe de voir reculer le groupe vert au parlement européen.

Je le sais, vous le savez, et Mélanie Vogel la présidente du parti Vert européen avec laquelle je partage le combat pour l’émergence d’une force politique verte puissante en Europe et que je salue, le sait aussi.

Au sein de l’alliance de la gauche et des écologistes, nous sommes les plus pro-européens et les plus fédéralistes. Nous prenons donc l’élection européenne au sérieux. Depuis toujours. Elle n’est pas une répétition générale ou un marchepied avant la présidentielle. Elle est en elle-même un enjeu politique majeur.

Manuel Bompard se trompe quand il prend les européennes à la légère, je lui dis avec amitié. On ne peut pas d’un côté dénoncer des traités qui cadenassent et de l’autre dire que l’Europe est moins importante que la présidentielle. Si nous avons vocation à gouverner il faut de la cohérence.

Je le dis tranquillement et d’autant plus que j’étais moins fermée que d’autres à la perspective d’une liste rassemblant toutes les composantes de la NUPES. Je sais que la NUPES représente à la fois un rempart et un espoir. Raison de plus pour en prendre soin.

Ne dramatisons pas les listes autonomes: faisons campagne avec sincérité et avec franchise. Laissons les électrices et les lecteurs juger de l’orientation majoritaire qu’ils veulent voir la coalition adopter à terme, puisque malgré un travail de convergence que je salue, nous avons encore entre nous plus que des nuances.

Je l’ai dit et je le répète: je ne céderai pas à la guerre des gauches. La douceur dont je parlais longuement tout à l’heure vaut aussi pour les rapports politiques. La souveraineté de chaque formation doit être respectée. Le respect est le début de la victoire.

Je comprends que d’autres portent une autre stratégie. Je leur dis: nous saurons nous retrouver.

La NUPES vit, la NUPES vivra.

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Personne ne peut empêcher le peuple de s’unir quand le besoin est pressant. Je connais l’aspiration unitaire des électrices et électeurs de la gauche et des écologistes. Si à la dernière présidentielle, Jean Luc Mélenchon a bénéficié du vote utile, c’est la preuve que les électeurs de toutes les formations ont été capables de mettre un mouchoir sur leurs désaccords pour se donner une chance d’accéder au second tour. Idem aux législatives où notre coalition électorale née à la dernière minute a constitué un formidable bouclier.

Aux européennes, la situation est différente. Il n’y a pas de second tour. Chaque formation doit donc faire en sorte d’obtenir le plus de députés, en défendant ses propres options. La proportionnelle de ce scrutin est une chance démocratique qui permet d’exprimer toute la palette des sentiments européens de notre peuple. Je m’étonne que des partisans de la 6ème république ne le comprennent pas.

À celles et ceux qui pensent que l’élection européenne est secondaire nous répondons ceci: qui peut croire que le destin de la planète ne se joue qu’en France? Et qui peut encore croire sérieusement que le destin de la France ne se joue pas aussi en Europe?

On ne construit pas la France dans un seul pays… parce que voyez-vous, notre nation n’est pleinement elle-même que quand elle voit large et parle loin. C’est ainsi. Prononçant ces mots, je veux préciser que si j’aime mon pays, que je défends sa place dans le concert des nations, et n’ai aucune naïveté sur l’âpreté des enjeux géopolitique, notre vision de la France n’est pas impériale. Elle est universaliste. C’est différent.

Je sais que parfois les deux idées se sont mélangées jusqu’à galvauder l’universalisme, mais l’impérialisme est le contraire de l’universalisme. Le premier est conquête, prédation, chosification ; le second appelle à une cosmopolitique basée sur l’intérêt général du genre humain. Nous sommes les descendants de cette vision de l’universalisme dont l’idée de l’unité écologique du monde est une reformulation.

J’insiste sur cela car c’est au nom d’un universel mal compris que les pires volontés d’assujettissement et de domination se sont déployées. Toute l’histoire européenne est marquée par la volonté impériale et l’expansionnisme colonial qui ont causé tant de souffrances.

Notre universalisme postule que tous les êtres, tous les peuples et toutes les espèces ont le droit à la dignité. C’est essentiel et nous ne devons jamais nous départir de cette boussole. Car l’Europe a été terre de génocides et pourvoyeuse de génocides au-delà de ses frontières.

Le poison du racisme et de l’antisémitisme polluent encore notre continent. Notre devoir le plus ardent est de les combattre quels que soient leur visage ou leur forme. Et c’est d’abord dans nos têtes qu’il faut extirper les représentations nauséabondes sédimentées par des siècles de préjugés: se civiliser c’est d’abord arrêter de regarder l’autre comme un ennemi. C’est accepter notre unité et notre diversité, notre identité commune et nos identités singulières, humains multiples que nous sommes, libres et égaux.

Pour toutes ces raisons l’Europe des barbelés ne sera jamais la nôtre

L’Europe des discriminations ne sera jamais la nôtre.

L’Europe d’Orban qui attise la haine ou de Meloni qui poursuit les familles homoparentales de sa vindicte ne sera jamais la nôtre !

Toutes les familles ont le droit de cité. L’amour n’est pas un crime,

L’extrême droite doit être combattue. Et l’extrême droite doit être battue…

*

Je veux finir là-dessus.

Ce n’est pas un hasard si Simone Veil, rescapée des camps de la mort, était une grande européenne. Elle connaissait le poids de la haine.

Alors je veux croire que nous avons retenu les leçons de l’histoire. L’Europe est couturée de cicatrices laissées par les guerres. Construire la mémoire commune de l’Europe est une tâche plus nécessaire encore que fut l’édification d’une monnaie unique.

Partons d’une vérité encombrante: nos mémoires divergent, s’opposent, se combattent, continuant, en sourdine ou à pleine voix, à miner notre vivre ensemble. Humains de condition, nous sommes condamnés à nous souvenir autant qu’à oublier.

Voilà pourquoi le choix de ce que nous choisissons de commémorer est une question politique majeure. Nos célébrations, nos statues, nos noms de place et de rues disent davantage ce que nous voulons être encore que ce que nous avons été.

Délaisser l’enjeu mémoriel, c’est trahir l’avenir. Car aucune paix ne sera durable sur notre continent si nous ne parvenons pas à extirper de nos souvenirs les rêves de vengeance. Les victoires des uns sont les défaites des autres. Notre vieux continent a une histoire riche, hérissée d’affrontements, de conflits, de guerres, de génocides.

Nous avons dû les surmonter pour parvenir à l’édification d’un avenir commun. Des frontières aujourd’hui disparues habitent encore nombre de cœurs et d’esprits européens. Un des défis à relever par l’Union Européenne est la construction d’une puissance qui ne se fonde pas sur des volontés de conquête et des nostalgies impériales.

Sur de vieilles cicatrices peuvent suppurer de nouvelles plaies. La mémoire lourde de traumas et les bouches chargées de silences constituent une réserve inépuisable de ressentiment. Nous savons que, partout où elle prospère, la poussée nationale-populiste ne se nourrit pas uniquement du carburant de la crise sociale.

Elle puise aussi à la source jamais tarie des pulsions identitaires, qui, toutes, instrumentalisent le passé, pour hérisser nos sociétés de barbelés infranchissables, symboliques ou réels.

Alors oui les écologistes se battent pour une Europe de la solidarité, de l’entraide, de la sauvegarde et des droits humains…

Voilà ce que je voulais vous dire. Vive l’écologie. Vive la République et surtout, surtout vive l’Europe !