Exposé des motifs

Le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mers Gérald Darmanin a déposé fin janvier son nouveau projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » dont le débat a été reporté, dans une période où notre démocratie est malmenée et dans un contexte politique tendu. Comme le rappelle le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi, il s’agit là de la 22e loi en 30 ans concernant les personnes étrangères ou exilées. Comme si les gouvernements successifs avaient à cœur d’y apposer leur nouvelle loi, toujours plus déshumanisante avec fois le même leitmotiv : la fermeté au mépris des droits fondamentaux de chaque personne concernée.

Énième loi sur les migrations, elle sera évoquée et votée alors même qu’un Pacte migration est actuellement négocié au niveau européen. Le droit européen primant sur le droit français, voter cette loi maintenant, c’est prendre le risque de faire le choix politique d’adopter de nouvelles mesures qui pourraient être en contradiction avec les législations du Pacte migration, et notamment les règlements « Gestion de l « asile et de la migration », « Crise » et « Screening », qui seront d’application directe dans la loi française.

Dans la droite ligne de la politique répressive, violente et xénophobe à l’encontre des exilé·e·s, et, souvent aussi envers celles et ceux qui tentent de leur montrer un peu d’humanité et de leur apporter leur aide en application du très républicain principe de fraternité, ce projet de loi ne sera, hélas, pas à la hauteur de ses promesses pour « améliorer l’intégration » des étranger·e·s.

En outre, les politiques répressives qui se sont demandées depuis 30 ans, qui ont déshumanisé les chercheuses·eurs de refuge, qui leur ont dénié un accueil humain et digne, ces politiques ont un coût : humain, bien sûr, mais aussi financier dans le financement de compagnie d’aviation privées pour les expulsions, le coût total par an de la rétention en CRA en métropole, hors dépenses d’interpellation, d’éloignement et de justice, s’élevait en 2008 à environ à 190,5 M€ (et 132,3 M€ hors investissement), soit 5 550 € par retenu (3 850 € hors investissement), d’après la Cour des comptes, etc.

Par ailleurs, la situation d’exception au droit commun en Outre-Mer et tout particulièrement à Mayotte, sont particulièrement préoccupante au regard de l’effectivité des droits fondamentaux des personnes exilées. De nombreuses mesures d’exception ont été mises en place sur l’île. Certaines associations dénoncent un « laboratoire de recul des droits », car des mesures pourtant présentées comme particulières ont ensuite été étendues à l’ensemble de la France.

De plus, il n’envisage l’immigration que comme un problème à traiter. Il n’y a pas lieu d’être pour ou contre la migration. Elle change d’échelle en Europe et dans le monde et la banque mondiale prévoit près de 250 millions de déplacé·e·s climatiques d’ici 2050.

La France ne prend toujours pas sa part dans l’accueil des personnes déplacées. Ainsi, [nous aurions pu accueillir 3 fois plus de personnes ukrainiennes au regard du poids économique et démographique français]. L’appel d’air agité par la droite et l’extrême droite n’existe pas. -> reformulation : La France ne prend toujours pas sa part dans l’accueil des personnes déplacées, notamment s’agissant des relocalisations depuis les États-membres européens de première entrée. Par ailleurs, loin d’être l’eldorado vanté par la droite et l’extrême-droite, notre pays est en réalité peu attractif. En témoigne le peu d’Ukrainien·ne·s qui ont souhaité s’y installer temporairement malgré les capacités d’accueil de la France au regard de son poids économique et démographique.

Dans une tribune collective publiée le 27 février1,400 scientifiques, sociologues, politistes, économistes, juristes, démographes, géographes, historiens et philosophes, unanimes, rappellent « qu’il n’y a pas de submersion migratoire, les régularisations et les sauvetages en mer n’ont jamais provoqué d’« appel d’air » et le grand remplacement de la population française est un mythe ».

Par ailleurs, la migration ne doit pas se résumer à des chiffres et de statistiques mais bien des millions de trajectoires individuelles qui constituent les parcours migratoires.

Ces parcours sont par des richesses, les sociétés les plus inclusives sont les plus innovantes et résilientes.

Trop souvent, les perceptions des phénomènes migratoires ne correspondent pas à la réalité. Nos concitoyen·ne·s ont en effet tendance à surévaluer le nombre de personnes étrangères. Et malgré les travaux de recherche et les études des spécialistes des migrations, le gouvernement Borne, comme d’autres avant lui, agite ce « chiffon rouge » par pur intérêt politique, relayé en cela par certains médias et réseaux sociaux. Le débat sur les migrations devrait se faire sur la base d’informations scientifiques et vérifiées, en partant des besoins des personnes concernées.

Nous contestons notamment les points suivants :

Le projet de loi porte une expérimentation (jusqu’en 2026) d’un nouveau titre de séjour de plein droit pour les personnes exerçant un « métier en tension ». Il pourrait être délivré pour un an aux salarié·e·s de secteurs d’activité figurant sur une liste actualisée annuellement par le Gouvernement. Si en apparence ce dispositif semble faciliter les démarches et la délivrance de titre de séjour, l’ajout d’un nouveau titre complexifie encore l’ensemble. Il est surtout le symptôme d’une vision utilitariste des personnes étrangères sur le sol français que l’on ne régulariserait que lorsqu’elles peuvent constituer un renfort de main d’œuvre pour satisfaire la productivité et les intérêts économiques de la France mais qui seront probablement laissé·e·s sur le carreau si, au bout de quelques mois, leur profession vient à sortir de la liste des métiers en tensions. De plus, s’il s’agit d’un premier titre de plein droit pour une régularisation, celui-ci n’ouvre pas droit au regroupement familial et discrimine sur le fondement de l’activité professionnelle.

Un droit au travail pour les demandeur·euse·s d’asile encore trop restreint. Depuis 1991 et une circulaire d’Edith Cresson, les personnes qui demandent l’asile en France ne peuvent plus travailler sauf autorisation exceptionnelle après une durée de séjour de 6 mois. Le projet de loi du Gouvernement autorise l’accès au marché du travail pour les personnes qui ont la nationalité de pays pour lequel le taux d’acceptation de la protection internationale est élevé. Ceci entraîne une discrimination entre les personnes qui demandent l’asile en France qui peut être attribué à titre individuel – au mépris du principe d’examen individualisé des demandes, donc – ou en raison de la situation particulière d’un État ou d’une région dans le monde.

Une condition supplémentaire pour les titres de séjour pluriannuel. Le projet de loi ajoute une condition supplémentaire au renouvellement du titre de séjour. Les personnes qui en font la demande devront justifier d’un niveau de français. Alors que les dotations publiques aux associations qui contribuent à l’apprentissage du français langue étrangère diminuent, l’État fait reposer la maîtrise de la langue sur les personnes et non sur une politique publique efficace.

Généralisation des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et des expulsions. Le projet de loi prévoit de restreindre les dérogations aux OQTF pour les personnes qui ne pouvaient en faire l’objet pour des raisons familiales ou parce qu’établies et installées depuis longtemps en France : parents d’enfants français·e·s résident·e·s en France, épouses·x de personnes de nationalité française, étranger·e·s résidant en France depuis au moins 10 ans, etc. Ces personnes pourront être visées par une OQTF et être expulsées sitôt qu’elles auront été condamnées pour un crime ou un délit à une peine d’au moins 5 ans d’emprisonnement. Il s’agit là de la création d’une sorte de « double peine », une sanction administrative s’ajoutant à une sanction déjà prise par le pouvoir judiciaire. Cela ne devrait pas donner matière à renforcer le sentiment de citoyenneté ou l’intégration, en plus de fragiliser des familles. En outre, cela génère une inégalité devant la Justice sur le fondement de l’origine.

Sur l’enfermement des enfants de moins de 16 ans, le projet de loi semble proposer une petite avancée vers le respect des libertés en interdisant le placement des mineur·e·s de moins de 16 ans en Centre de Rétention Administrative (CRA). En réalité, cela n’interdira pas de placer des familles dans d’autres lieux de privation de libertés comme peuvent l’être les Lieux de Rétention Administrative (LRA), les zones d’attentes des aéroports ou des centres de rétention prétendument adaptés aux enfants mais qui restent des lieux d’enfermement. Par ailleurs, il s’agit du seul article dont la mise en application n’interviendra qu’au 1er janvier 2025.

L’engagement au respect des principes de la République qui conditionne la délivrance des titres des séjours. À l’inverse, un manquement au respect des principes de la République, avec des formulations aussi vagues que « respecter […] la devise et les symboles de la République » pourra mener à un refus de titre de séjour ou de son renouvellement. Cela rappelle très fortement le Contrat d’Engagement Républicain (CER) auquel les associations sont soumises depuis le 1er janvier 2022 pour bénéficier d’aides publiques et qui, loin de lutter uniquement contre les « séparatismes » » selon les objectifs affichés, sert à certaines occasions aux pouvoirs publics d’outils de contrôle et d’entrave à la liberté associative. Ainsi, difficile de ne pas percevoir dans cette disposition un prétexte pour restreindre l’octroi de titre de séjour, laissant toujours plus de personnes dans une situation de précarité administrative.

Réforme du droit d’asile. Le projet de loi prévoit de créer des lieux « France-Asile » où en plus des services du préfet et de l’OFII, des agents de l’office français de protection des réfugié·e·s et apatrides (OFPRA) seraient présent·e·s et où des missions foraines pourraient se tenir. Cette mesure a pour objectif de supprimer le délai d’introduction d’une demande d’asile auprès de l’OFPRA et par les missions foraines de réduire le délai d’instruction de celle-ci.

Déconcentrer l’instruction des demandes d’asile peut sembler une bonne idée de prime abord pour écourter des procédures souvent longues et coûteuses en déplacements. Pour autant, cette idée est dangereuse pour l’indépendance de ces « OFPRA déconcentrés », tout établissement public déconcentré étant placé sous l’autorité du préfet. L’OFPRA est déjà largement sous pression d’accélérer l’instruction des demandes.

En l’état, la norme de la procédure de recours contre les décisions de l’OFPRA devant la cour nationale du droit d’asile (CNDA) est la collégialité. L’audience se déroule devant trois juges, notamment en présence d’un assesseur nommé par le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugié·e·s (HCR), spécificité de la CNDA. En outre, au prétexte de faciliter la tenue des audiences, le recours à la vidéo serait étendu pour les étranger·e·s maintenu·e·s en rétention administrative ou en zone d’attente.

Le projet de loi entend généraliser le recours à un juge unique, hors cas d’affaire particulièrement « complexe ». Cela constitue un véritable risque d’arbitraire dans la procédure d’asile dont il est important de rappeler qu’il est un droit des personnes – qui jouent leur vie le temps d’une audience – et un devoir de notre République.

Notre vision écologiste de ce que doit être une politique migratoire est en totale opposition avec celle du Gouvernement. Alors que celui-ci va chercher à tout prix à donner l’illusion de « maîtriser » les flux et se donner les moyens de choisir celles et ceux qui pourront entrer, puis s’établir en France, nous défendons un accueil inconditionnel des personnes, qui souvent sont contraintes à se déplacer pour survivre. Ainsi, l’objectif d’une telle réforme ne devrait pas être de chercher à « contrôler l’immigration » mais plutôt de créer les conditions pour accueillir dignement pour construire une société plurielle, multiculturelle, fraternelle et solidaire.

Motion

Europe Écologie-Les Verts décide de s’opposer au projet de loi « Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » dans la version déposée au Parlement le 1er février 2023.

Europe Écologie – Les Verts défend à l’inverse une véritable politique d’accueil des personnes migrantes

– Soutenir la mise en place d’une convention citoyenne sur les migrations , à l’image de la convention citoyenne pour le climat et de la fin de vie , afin que les citoyen·ne·s puissent débattre sur ce sujet complexe après avoir écouté des personnes concernées par des parcours de migration et débattu avec des représentant·e·s du monde académique, scientifique et de la société civile.

– Faciliter l’accès à un titre de séjour pour lutter contre la précarité administrative qui soutient les personnes dans la précarité économique

  • Une simplification du système de titre de séjour, des titres de séjours automatiquement délivrés pour 10 ans pour sécuriser les titulaires.
  • La généralisation de la protection temporaire accordée par les pays membres de l’Union européenne aux ressortissant·e·s des pays touchés par des crises majeures comme en Afghanistan, en Ukraine, en Iran ou en Syrie par exemple.
  • Mettre fin à la généralisation de la dématérialisation des démarches en Préfecture qui est un obstacle à l’accès au droit, rouvrir des guichets d’accueil physiques dans toutes les Préfectures.
  • La prise en compte des climatiques et des bouleversements provoqués par le dérèglement climatique sur les milieux de vie dans l’accord du statut de réfugié·e ou de la protection subsidiaire voire d’un titre de séjour économique : de nombreuses personnes sont contraintes de se déplacer car les conditions climatiques ou les aléas produites par le dérèglement climatique dégradent leur milieu de vie, leur sécurité alimentaire et menacent leur survie. En outre, la raréfaction des ressources est également source de conflits qui entraînent des déplacements forcés de populations.

Mettre de la dignité dans le traitement des étranger·e·s

  • En finir avec la situation d’exception juridique au droit commun des personnes étrangères qui a court dans les Outre-Mer et en particulier à Mayotte, qui font de ces territoires « un laboratoire de recul des droits »
  • Garantir le droit fondamental au logement par la mise en place d’un plan de mise à l’abri et d’accès à des hébergements d’urgence et des logements pérennes à la hauteur des besoins
  • Garantir l’accès au marché du travail pour toutes les personnes demandant l’asile ou titulaires d’un titre de séjour et régulariser toutes les personnes qui ont une activité économique ainsi que les membres de leurs foyers
  • Faciliter l’obtention d’équivalences de diplômes afin de permettre une intégration professionnelle des personnes en adéquation avec leurs qualifications et leurs attentes 
  • Garantir le droit fondamental à la santé par un à l’Aide Médicale d’État (AME) ou la protection universelle maladie (Puma) inconditionnelle et sans délai de carence : sachons tirer les leçons des pandémies du VIH et du Covid
  • Mettre un terme immédiat à l’expulsion des personnes atteintes par des affections de longue durée ou qui ont besoin d’accéder à un traitement telles que les personnes vivant avec le VIH
  • Garantir le droit fondamental à l’éducation à la scolarisation des enfants jusqu’aux études supérieures le cas échéant, et éviter les sorties sèches de l’Aide sociale à l’enfance en permettant l’accès au droit commun des mineurs non accompagnés dès leur majorité.
  • Généraliser l’accès aux cours de français sans conditionner l’accès et le renouvellement des titres de séjour à un certain niveau de maîtrise de la langue
  • Enfin, parce qu’une fois installée en France, chacun·e doit pouvoir exercer sa citoyenneté, garantir les droits politiques et la citoyenneté de résidence en accordant le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales aux étranger·e·s résidant en France depuis au moins 5 ans.

– Garantir l’effectivité du droit d’asile : un droit pour les personnes et un devoir pour notre République

  • Supprimer la liste des pays d’origine dits « sûrs », décidée en conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugié·e·s et apatrides (OFPRA, qui contrevient au principe d’examen individualisé des demandes et ne permet pas de tenir suffisamment compte des situations de vulnérabilités spécifiques, notamment pour les personnes persécutées à raison de leur appartenance à un certain groupe social selon les termes de la Convention de Genève, telles que les femmes victimes de mariages forcés, les filles risquant l’excision ou bien encore les LGBTQIAP+
  • Refuser le principe des lieux « France Asile » dans la mesure où le risque d’inégalités de traitement des demandes d’asile est grand entre les différentes préfectures, sous couvert d’efficacité et de raccourcissement des délais de procédures
  • S’opposer aux audiences vidéos, notamment pour les personnes rendues particulièrement vulnérable en privation de liberté, car elles aggravent les obstacles à l’accès aux droits que sont la fracture numérique ou la barrière de la langue, par exemple
  • Restaurer le principe de collégialité des formations de jugement à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) car elle prémunit contre l’arbitraire d’un examen expéditif par un juge unique des demandes d’asile, quelle que soit la complexité des affaires

Unanimité pour


Retour sur les motions adoptées par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 1er et 2 avril 2023