« Eh bien vous savez ce qu’il va se passer ? Nous allons bientôt manquer d’eau ». Voilà comment René Dumont terminait son allocution pour défendre la candidature écologiste à l’élection présidentielle de 1974. Nous y sommes. Près de 50 ans d’inaction climatique après, la ressource en eau n’est plus abondante et l’ONU se réunit en catastrophe pour décliner un programme mondial d’action pour l’eau. En France, la situation est encore pire que ce qu’avaient imaginé les scénarios les plus pessimistes : notre territoire se réchauffe plus vite et plus intensément que la moyenne planétaire.

Dans ce contexte de raréfaction de l’eau, quelques acteurs économiques cherchent à se l’accaparer, notamment en construisant des méga-bassines : les stations de ski pour alimenter des canons à neige, une frange minoritaire d’agriculteurs, gros céréaliers maïsiculteurs pour irriguer leurs cultures l’été… Depuis 20 ans, des projets sortent de terre, avec une opposition toujours plus forte des scientifiques et des autres usagers de l’eau (citoyens, agriculteurs non-irrigants ou non-raccordés, défenseurs des milieux aquatiques, conchyliculteurs, pêcheurs, etc.).

Dans cette course à l’accaparement, l’Etat se dérobe à sa mission de garantir la défense de l’intérêt commun. En Poitou-Charentes, il a signé des arrêtés autorisant la construction de méga-bassines qui ont fini par être déclarés illégaux devant les tribunaux administratifs . Entre-temps, il a continué de financer en grande partie les travaux, sans que les usagers de l’eau ne soient consultés sur leur participation financière à des ouvrages privés. Et depuis, il protège quotidiennement les dites-réserves au moyen de plusieurs centaines de policiers. Autoriser, financer et protéger des ouvrages illégaux qui endommagent les écosystèmes, voilà un profond mépris étatique…de l’Etat de droit.

Le programme de construction de 16 méga-bassines dans les Deux-Sèvres, dont celles de Sainte Soline et de Mauzé-sur-le-Mignon s’inscrit dans la même logique. Les travaux ont démarré alors même que le premier jugement du tribunal a exigé un redimensionnement de 9 méga-bassines, car les volumes prévus dépassent les volumes auxquels les irrigants ont droit, pourtant déjà indécents au regard de la capacité des milieux à les fournir. L’Etat n’a pour autant pas suspendu son financement de 50 millions d’euros et mobilise plusieurs milliers de policiers à chaque manifestation.

La paix ne s’impose pas par la force, elle se construit par l’objectivité des solutions proposées, le dialogue et la démocratie. La trajectoire prise par Emmanuel Macron depuis qu’il est à la tête de notre pays n’est pas la bonne. De la loi ASAP (Accélération et Simplification de l’Action Publique) qui a supprimé les consultations publiques, au traitement policier des gilets jaunes, en passant par le refus du dialogue social pour la réforme des retraites et la loi de sécurité globale pour éviter de documenter les violences policières, tout a été fait pour réduire les espaces de démocratie dans notre pays. 

Quand l’Etat transgresse les lois, contourne les décisions du tribunal, ignore les alertes des scientifiques, impose par la force des projets sans l’aval des citoyens, brusque voire blesse des manifestants, l’état de droit est bafoué et les conditions ne sont plus réunies pour assurer la paix à laquelle notre société aspire. 

Nous étions déjà là pour nous opposer à la construction du barrage de Sivens, et avions dénoncé, en vain, les dérives du maintien de l’ordre. Nous ne voulons pas revivre le même drame, qui a couté la vie à Rémi Fraisse, parce que l’État n’a pas été capable d’organiser le dialogue. Nous étions à Sainte-Soline et nous serons à Melle les 24, 25 et 26 mars prochains, dans le même esprit de désobéissance fertile, festive et non-violente. Agriculteurs, citoyens, scientifiques, élus locaux, nationaux et européens, associations de protection de l’environnement, nous serons toutes et tous en résistance. 

Cette tribune est à retrouver dans l’humanité : https://www.humanite.fr/en-debat/gestion-de-l-eau/mega-bassines-nous-ne-voulons-pas-revivre-le-drame-de-sivens-787460