Exposé des motifs :

Le projet de loi de santé de la ministre de la santé Marisol Touraine a été présenté en Conseil des ministres le 15 octobre 2014 et doit être débattu par les parlementaires au printemps 2015. Combinant réformes structurelles du système de soins français et transposition de directives européennes, il propose un certain nombre de mesures phares comme la généralisation du tiers payant, la création d’un service territorial de santé au public, l’interdiction du « vapotage » dans les lieux publics, l’amélioration de l’information nutritionnelle ou encore la création d’actions de groupe sur les questions de santé.

Si certaines des mesures proposées sont compatibles avec une conception écologiste de la politique de santé – notamment en termes de renforcement des droits des usagers et de lutte contre les inégalités d’accès aux soins –, le projet de texte présente des faiblesses importantes concernant la place de la prévention primaire et de la santé environnementale, le décalage entre les intentions affichées et les moyens proposés par exemple en ce qui concerne la santé scolaire, la fixation des prix des produits de soins et la santé mentale, laquelle fait partie, rappelons-le, de la définition de la santé proposée par l’OMS : « Un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Malgré une amélioration nette de la santé globale de la population depuis près de 70 ans, les défis auxquels doit faire face notre système de soins n’ont jamais été aussi nombreux depuis sa mise en place à la fin de la seconde guerre mondiale. On constate aujourd’hui un décrochage croissant entre espérance de vie et espérance de vie en bonne santé, une explosion des inégalités d’accès aux soins (déserts médicaux, augmentation des prix des médicaments conduisant de facto à une difficulté d’accès, discriminations de certaines populations, notamment migrantes), une épidémie de maladies non transmissibles et de cancers liés à des perturbations sans précédent de nos écosystèmes, l’émergence de maladies environnementales nouvelles et invalidantes (intolérances environnementales idiopathiques comme l’hypersensibilité aux ondes électromagnétique ou aux produits chimiques, maladies inflammatoires chroniques intestinales), une perte d’efficacité des traitements en raison du développement constant de la bio-résistance, une progression des maladies nosocomiales et effets secondaires graves de traitements, augmentation fulgurante des risques psycho-sociaux, l’apparition de maladies infectieuses inhabituelles sous nos climats en raison des changements climatiques et de la perte de biodiversité. Le tout étant combiné à l’émergence de nouvelles technologies dont les impacts sanitaires sont insuffisamment évalués (objets connectés, nanotechnologies, vapoteuses, etc…), et une politique d’austérité résultant en une pression croissante sur les budgets attribués et aggravant les inégalités sociales et territoriales de santé.

En amont du débat parlementaire à venir, la présente motion est l’occasion d’actualiser les propositions d’EÉLV en matière de politique de santé, dans la continuité des propositions formulées dans le programme Vivre Mieux de 2012. Au cœur de notre projet politique se trouvent les notions de démocratie sanitaire fondée sur un accès aux soins pour touTEs et un renforcement des droits, de la prévention basée sur la santé environnementale et le concept d’exposome (expositions aux polluants et particules), de santé holistique (physique, mentale, au travail, dans l’écosystème) – dont les thérapies non médicamenteuses, qu’elles soient issues des sciences humaines et sociales ou des médecines dites douces ou traditionnelles -, de recherche guidée par les besoins sanitaires réels et non par les perspectives de rente économique que représente telle ou telle pathologie, et de principe de précaution comme principe d’innovation.

  1. Considérant que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose en son article 35 que « toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales » ;
  2. Considérant que le système actuel de santé en France est de fait un système de soins, conçu et développé dans une perspective principalement curative du fait de la prédominance de la vision médicale de la santé et de la technicisation croissante de la médecine;
  3. Considérant que depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le mode dominant de production de biens et services entraîne des dégradations continues et parfois irréversibles des écosystèmes au sens large, qui constituent un milieu dans lequel les polluants de toutes natures sont en contact permanent et en interaction avec les individus de la gestation jusqu’à la mort, que ce soit via les sols, les airs extérieurs et intérieurs, les eaux, les aliments bruts ou issus de l’industrie agroalimentaire ;
  4. Considérant qu’avec celles du climat, de l’énergie et de la biodiversité, la crise sanitaire est le quatrième volet majeur de la crise écologique et qu’un nombre croissant des maladies non transmissibles dites chroniques pèse lourdement sur le régime de Sécurité sociale, notamment en raison du rôle dans l’étiologie de certains cancers des produits chimiques perturbateurs endocriniens devenus ubiquitaires et persistants ;
  5. Considérant que le principe de précaution est sous appliqué pour les nouvelles technologies, comme par exemple dans la politique des « French Techs » initiée par le gouvernement socialiste et résultant dans la commercialisation d’objets connectés à destination d’une partie croissante de la population, malgré une méconnaissance encore importante des mécanismes à l’œuvre dans l’apparition de l’intolérance environnementale idiopathique aux ondes (électro-hypersensibilité) ;
  6. Considérant le développement rapide de la médecine personnalisée, la faiblesse de l’arsenal juridique existant visant à protéger les données des patientEs/utilisateurs d’applications mobiles de santé développées par les géant d’internet et les risques que cela pose en termes protection des libertés individuelles ;
  7. Considérant que les conflits d’intérêts gangrènent notre système de soins à tous les niveaux, depuis la formation continue des personnels de santé (visiteuses médicales), à la fixation des prix des médicaments déconnectés des coûts réels de la recherche (cas récent du sofosbuvir, un anti-hépatite C produit par Gilead), en passant par les procédures d’autorisation de mise sur le marché qui ne sont pas toujours guidées uniquement par l’intérêt des patientEs (affaire du benfluorex (Mediator) et effets secondaires non publiés) ;
  8. Considérant que la croissance des inégalités sociales en Europe s’accélère suite aux politiques d’austérité et que certaines composantes de la population sont aujourd’hui exclues du système de soins par non recours aux soins pour raison financière ou tout autre raison à caractère inégalitaire, ce qui génère un risque de santé publique notamment par transmission de virus ou par la réapparition certaines maladies comme la tuberculose ;
  9. Considérant que la Commission globale de politique en matière de drogues a remis un rapport à l’ONU le 9 septembre 2014, concluant qu’il faut « cesser de criminaliser l’usage et la possession de drogues » et trouver « d’autres options que l’incarcération pour les acteurs non violents du bas de l’échelle du trafic de drogue, tels les fermiers et les passeurs» ;
  10. Considérant qu’avant et après la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement en psychiatrie, les professionnels de ce champ n’ont cessé de demander une remise à plat du système de soins en santé mentale et que le projet actuel de loi ne remet pas en cause l’approche sécuritaire mise en place sous la présidence de M. Sarkozy ;
  11. Considérant l’inégale répartition territoriale des personnels soignants, la transformation de l’exercice médical confronté à des malades atteints de pathologies chroniques, souvent invalidantes et la sous-utilisation de certaines capacités paramédicales comme les sages-femmes et les cadres de santé, qui pourraient exercer des compétences médicales limitées de manière plus systématique ;

Motion

Le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts, réuni à Paris les 17 et 18 janvier 2015,


1. Appelle au rééquilibrage du projet de loi de santé en faveur de la santé environnementale et singulièrement de l’inscription dans la loi de l’exposome (ensemble sur le long terme des expositions aux agents chimiques, physiques et infectieux) intégré pour l’heure dans le dispositif infra légal Plan national de santé environnement (PNSE) n°3 ;

2. Appelle au renforcement des moyens des observatoires régionaux de santé et à l’élargissement de leurs missions en matière de santé environnementale, comprenant notamment le suivi épidémiologique des populations ainsi qu’un axe de travail portant sur les impacts de la perte de biodiversité et les changements climatiques sur la santé ;

2bis. Appelle à un accès pour touTEs à un dépistage gratuit des niveaux d’imprégnation par les toxiques dans le cadre de la santé au travail et les bilans de santé aux différents âges

3. Appelle à la réalisation d’études sur les syndromes environnementaux et la reconnaissance éventuelle des personnes qui en souffrent comme étant en situation de handicap au regard de la restriction dans l’accès aux services, aux études et à l’emploi qu’ils induisent;

4. Appelle à l’application du principe de précaution comme principe d’innovation, via notamment une évaluation systématique et préalable des impacts sanitaires et environnementaux des politiques publiques et projets de recherche technologique ;

5. Rappelle l’interdiction d’un usage commercial des données personnelles collectées, en particulier par les gérants d’internet, dans le cadre de la médecine personnalisée ;

6. Appelle au développement de la prévention primaire et à l’éducation pour la santé tout au long des parcours de formation et sur les lieux de travail, en particulier auprès des femmes enceintes, des jeunes dès l’école primaire et le collège de manière progressive et adaptée par des personnels de santé et de prévention traitant de l’ensemble des risques pour la santé et la sécurité – indépendants notamment des industries alimentaires et médico-pharmaceutiques – tels que :

  • l’alimentation,
  • la qualité du milieu (environnement et au travail),
  • les maladies infectieuses,
  • la santé sexuelle et reproductive et le rapport au corps et au plaisir,
  • les comportements vis-à-vis de l’alcool, du tabac et des stupéfiants ;
  • les accidents et altérations de la santé dans la vie courante et au travail ;

7. Appelle au renforcement du rôle et des pouvoirs des associations d’usagers dans toutes les instances de gouvernance des systèmes et institutions de soins et médicosociaux, y compris au sein du Comité économique des produits de santé (CEPS) afin d’accroître la transparence dans les processus de fixation des prix des produits de santé et ainsi lutter à la fois contre les conflits d’intérêt qui gangrènent notre système de soins et contre les inégalités d’accès aux soins pour raisons économiques ;

8. Appelle à une meilleure articulation entre secteurs sanitaire et médicosocial afin de mieux suivre les personnes en situation de handicap et celles souffrant de maladies chroniques invalidantes, ainsi qu’à la création de centres de santé développant une approche holistique de ces patientEs ;

9. Appelle à une refonte de la formation continue des professionnels de santé par des organismes indépendants de l’industrie pharmaceutique et des dispositifs médicaux ainsi qu’à une publication systématique de tous les résultats d’essais cliniques, y compris lors d’essais non commerciaux ;

10. Appelle au renforcement de la lutte contre les inégalités territoriales de santé, notamment par la mise en place de maisons de santé mobiles dans tous les déserts médicaux ;

11. Appelle à la prise en compte des impacts sanitaires de la criminalisation des usagers de drogues et à une politique de réduction des risques ;

12. Appelle à la non criminalisation des personnes souffrant de pathologies mentales et à une évaluation par un organisme indépendant de l’application de la politique de soins sans consentement ;

13. Appelle à une reconnaissance officielle des médecines non conventionnelles dans le cadre de la stratégie 2013-2024 Médecines Traditionnelles de l’OMS en veillant notamment à l’efficacité et la qualités des thérapies dans des conditions d’évaluation comparables aux médecines conventionnelles.

14. Rappelle que nous avions obtenu dans l’accord EELV / PS de 2012 le principe d’un nouvel investissement dans la prévention primaire, c’est-à-dire éducation pour la santé et santé environnementale, pour un montant chiffré à 1% du budget des soins, soit 1,7 milliards d’euros ». 

15. Appelle à l’ouverture du don du sang aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et à autoriser les soins funéraires pour les personnes séropositives

Unanimité pour

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