Exposé des motifs

Depuis 1993, notre pays s’est engagé dans une série de réformes paramétriques ayant pour ambition de « sauver » notre système de retraite par répartition, en modifiant les paramètres (nombre d’annuités nécessaires pour une pension à taux emploi, âge de départ légal à la retraite, évolution des cotisations…) de calcul des pensions. Toutes ces réformes ont finalement abouti à la réduction de l’évolution des pensions (le taux de remplacement ne cessant de baisser), à l’allongement des durées de cotisations requises pour bénéficier d’une pension à taux plein et à la dégradation progressive de la situation des retraités.

Aujourd’hui, selon les prévisions du Conseil d’orientation des retraites (COR), il n’y a pas de nécessité financière à la mise en place d’une réforme globale ; or, le gouvernement s’apprête à mettre en place une réforme systémique destinée à remplacer le système par répartition et par annuités, par un système à points, transformant profondément la logique actuelle.

La réforme du gouvernement vise :

  • à créer un régime à points où « un euro cotisé donne le même droit à tous ». Ainsi à partir de 2025, pour les générations nées après 1963, les cotisations versées par tous les actifs donneraient lieu à l’achat de points qui seraient transformés en pension lors du départ en retraite (nombre de points accumulés X la valeur du point décidée à ce moment là)
  • à unifier les 42 régimes de base actuels, les règles devenant les mêmes pour tous les actifs (salarié du privé, du public, non-salarié)
  • à remplacer l’âge légal de départ à la retraite (62 ans) par un âge d’équilibre (64 ans) permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein et d’équilibrer le système. Cette âge pouvant évoluer en fonction de l’espérance de vie.

Mais alors que dans le système actuel, les salariés cotisent pour financer une prestation définie et un taux de remplacement des salaires en pension retraite, dans le système à points, l’individualisation est renforcée et il n’y a plus de taux de remplacement garanti , la prestation finale restant incertaine et dépendante de la valeur du point (qui serait fixée par le gouvernement). Nous passerions alors d’un système à prestation définie à un système à cotisation définie avec le risque de confier les clés du système de retraite à Bercy qui fixerait la valeur du point.

Or, si Europe Ecologie Les Verts peut partager l’objectif de simplification d’un système aujourd’hui trop complexe et peu lisible avec ses 42 régimes différents, soutenir l’augmentation des pensions de réversion et du minimum de retraite à 85 % du SMIC (net), les propositions faites ne vont pas dans le sens de la justice sociale. Elles pénalisent en effet les salariés précaires à la carrière professionnelle hachée et ceux qui ont commencé à travailler jeunes.

> – Le système par points est défavorable aux personnes qui ont connu des carrières marquées par des périodes de chômage, de petits boulots précaires ou de travail à temps partiel. Il favorise en revanche celles et ceux qui ont eu des emplois à temps plein avec des rémunérations élevées tout au long de leur vie professionnelle. Cette réforme avantage donc celles et ceux qui en ont le moins besoin et pénalise les autres.

> – Le passage à ce nouveau système sera également défavorable aux fonctionnaires et notamment aux enseignants qui ont en France des salaires particulièrement faibles et perçoivent peu de primes.

> – Le rapport évoque une bonification des points pour les métiers pénibles, mais il faut rappeler que la majorité actuelle avait réduit en 2017 les facteurs de pénibilité pris en compte excluant notamment les ports de charges de lourdes et les risques chimiques. Europe Ecologie Les Verts exige donc que l’ensemble des facteurs de pénibilité soit intégré et que les bonifications envisagées prennent en compte à leur juste mesure l’impact sur l’espérance de vie en bonne santé des conditions de travail pénibles[1].

> – L’introduction, dans le projet présenté par le Haut Commissaire, d’un âge pivot de départ en retraite (dit âge d’équilibre du système) de 64 ans pénalise lourdement et injustement ceux qui ont commencé à travailler jeunes et qui devront tout de même travailler jusqu’à 64 ans pour bénéficier d’une retraite sans décote. Un tel dispositif est par nature contraire au système par point envisagé qui était censé donner plus de liberté aux Françaises et aux Français en termes d’âge de départ. Cette disposition, à elle-seule, rendrait la future réforme inacceptable, si elle était maintenue.

En outre, n’oublions pas qu’aujourd’hui, un salarié sur deux qui liquide ses droits à la retraite n’est déjà plus en emploi… Il a été licencié pour inaptitude médicale ou il est au chômage, ou en invalidité ou encore au RSA. Avec aucun espoir de retrouver un emploi, car souvent usé par les conditions de travail passées et avec un état de santé incompatible avec les exigences du travail. Reculer à 64 ans l’âge pivot, c’est augmenter le risque de désinsertion professionnelle pour les salariés les plus fragiles.

> – Enfin, le système de retraites par points proposé crée une forte incertitude sur le revenu futur des retraité.e.s en faisant entièrement dépendre celui-ci de la valeur du point. La volonté sans cesse réaffirmée de réduction massive des dépenses publiques prime désormais sur toute autre considération et pourrait à l’avenir se traduire par une paupérisation croissante des futurs retraités. Alors qu’un des principaux acquis des dernières décennies avait justement été le recul spectaculaire de la pauvreté chez les personnes âgées même si leur situation reste marquée par de très fortes inégalités, notamment aux dépens des femmes.

Bien entendu, EELV est conscient que nous sommes confrontés à plusieurs défis : l’allongement de la durée de vie, la disparité des régimes qui génère un sentiment d’injustice, les inégalités de retraite entre les femmes et les hommes, la faiblesse du taux d’emploi (en 2016, le taux d’emploi des 20-64 ans était en France de 70 % contre 71,5 % dans l’UE15, mais 77,5 % au Royaume-Uni, 78,5 % en Allemagne, 81% en Suède), la précarité des emplois et la faiblesse des revenus, les discontinuités dans les carrières professionnelles, la prise en compte de la pénibilité et des carrières longues…

Pour autant, ce constat ne doit pas nous conduire à brader le système par annuités, qui a permis d’améliorer la situation et le niveau de vie des retraités (le niveau de vie médian des personnes retraitées est légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population et leur taux de pauvreté est deux fois moins élevé). En réalité, la volonté cachée du gouvernement est de stabiliser la part des pensions dans le PIB (autour de 14% alors que la population âgée augmentera) ainsi que le montant des pensions, faisant de la retraite une période d’appauvrissement ou une période rendant nécessaire une activité complémentaire (comme en Suède).

Motion

Si EELV partage l’objectif de simplification d’un système aujourd’hui complexe et peu lisible avec ses 42 régimes différents, il s’oppose néanmoins en l’état au projet systémique du gouvernement et participera aux mobilisations à venir contre la réforme des retraites.

EELV présentera ses propositions pour un système plus libre afin de pouvoir partir plus tôt que l’âge légal sans décote, plus juste et sécurisé, combattant la volatilité des pensions :

– préserver et améliorer le système par annuités tout en harmonisant les différents régimes

– préserver le système à prestation définie et l’âge légal de départ à 62 ans (ou revenir à 60 ans en prenant en compte les années d’étude et les périodes de précarité subies) 

– tenir compte de l’ensemble des facteurs de pénibilité et que les bonifications envisagées prennent en compte à leur juste mesure l’impact sur l’espérance de vie en bonne santé des conditions de travail pénibles. 

– augmenter la contribution des revenus du capital (stock-options, intéressement, produits financiers)

– augmenter, si nécessaire, les taux de cotisations sociales

– améliorer le taux d’activité et rechercher le plein emploi via la RTT

– réduire les inégalités de salaire et l’emploi subi des femmes qui les pénalisent au moment de leur retraite

– adapter le calcul des retraites aux nouvelles formes de travail (entrepreneuriat, contrat court, digital labor…)

– supprimer la surcote et la décote de façon à pouvoir garantir la liberté de choix du moment de départ à la retraite

– éviter l’allongement de la durée de vie au travail et notamment préserver le nombre d’annuités acquis par enfant pour les femmes

– prendre en compte dans l’assiette de calcul des retraites, l’ensemble des revenus (salaires, indemnités, intéressement et autres avantages)

Unanimité moins 5 blancs

1 « Les inégalités d’espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles sont désormais bien connues. A 35 ans, l’espérance de vie des hommes ouvriers est de 42,6 années, contre 49 ans pour les cadres (source Insee 2016). Celle des ouvrières est de 49,8 ans, contre 53 ans pour les femmes cadres. Les écarts sont encore plus marqués si l’on considère l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire sans incapacité : 10 ans. Et l’incapacité n’est pas l’apanage du grand âge. Un quart des années à vivre entre 50 et 65 ans le sont avec des limitations d’activité. Avec, là aussi, des différences significatives entre les ouvriers et les cadres, au détriment des premiers.

Il faut raisonner en fonction de l’espérance de vie en bonne santé rapportée à la catégorie socioprofessionnelle, et non plus en fonction de l’espérance vie globale d’une classe d’âges

Les conditions de travail jouent un rôle déterminant et direct sur ces disparités. On se souvient des dix facteurs de risque professionnel introduits dans le compte personnel de prévention de la pénibilité mis en œuvre par le gouvernement Ayrault sur la base de connaissances scientifiques : activités en milieu hyperbare, travail de nuit, travail répétitif, travail en équipes successives, exposition au bruit, exposition aux températures extrêmes, port de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques, agents chimiques. » (Tribune parue dans Le Monde)

Télécharger la motion : 

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du Conseil fédéral des 21 et 22 septembre 2019