Adoptée par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 27 et 28 mars 2021

Exposé des motifs

Constat : L’accroissement des inégalités

Le mouvement des gilets jaunes a rappelé le lien intime qui existait entre urgence climatique et urgence sociale. Ce mouvement illustre l’impossibilité de mener une politique environnementale ambitieuse sans affronter le problème des inégalités et la perception qu’en ont les citoyen.nes. Longtemps considérée comme implicite au projet écologiste, la question de la justice sociale – et de la lutte contre les inégalités – doit devenir un principe fort de la transition écologique que nous portons.

Dans le monde, le niveau de concentration des richesses est insupportable : d’après l’ONG Oxfam, les 1% les plus riches de la planète possèdent un patrimoine  deux fois (132 586 milliards de dollars) plus élevé que la richesse des 90% les plus pauvres, soit 6,9 milliards de personnes. Cette tendance ne cesse de s’accentuer, la richesse des 1% les plus riches de la planète augmentant de 13% par an depuis 2010[1]. Les écarts de revenus entre les 1% du haut et les classes moyennes et populaires se creusent, les premiers doublant ou quadruplant leurs revenus entre 1980 et 2016 tandis que ceux des classes moyennes et populaires n’augmentent que de l’ordre de 50% sur la même période [2].

En France, les attaques contre le modèle de protection sociale conjuguées aux réformes d’un système fiscal devenu de moins en moins progressif avec son lot de privilèges pour les plus aisés (boucliers fiscaux, suppression de l’ISF – impôt de solidarité sur la fortune -, niches fiscales), l’inégalité en matière d’éducation et une gouvernance des entreprises privilégiant les détenteurs des capitaux expliquent une trajectoire inégalitaire de plus en plus inquiétante. D’après l’Insee, entre 1998 et 2015, le patrimoine des 10% les plus riches a augmenté de 113% tandis que celui des 10% les plus pauvres a reculé de 31%[3].

Depuis la crise financière de 2008, le nombre de milliardaires en France a été multiplié par 4. Les 7 milliardaires les plus riches de France possèdent désormais plus que les 30% les plus pauvres[4]. Dans le même temps, en 2018, 400 000 personnes ont basculé sous le seuil de pauvreté[5] et tous les indicateurs semblent indiquer que la crise sanitaire de la Covid-19 contribue à creuser encore plus les inégalités et la précarité des plus fragiles (1 million de personnes auraient basculé dans la pauvreté).

La redistribution permet d’atténuer les inégalités mais le modèle social français est en danger car notre fiscalité repose de manière croissante sur des impôts inéquitables comme la TVA et la CSG[6], des impôts qui pèsent proportionnellement plus sur les citoyen.ne.s les plus pauvres. L’instauration de la flat tax et la suppression de l’ISF au début du quinquennat ont accentué cette tendance en diminuant de nouveau la participation des plus riches à notre système de redistribution[7]. Les plus pauvres restent les grands perdants des mesures budgétaires depuis le début du quinquennat : ce sont les seuls à ne pas voir leur pouvoir d’achat augmenter significativement, selon l’Institut des politiques publiques (IPP)[8]. A l’autre bout de l’échelle, les 1% les plus riches continuent à creuser leur écart en voyant leur pouvoir d’achat augmenter de 4 462 euros par an, sans parler des 0,1% qui font tout simplement sécession en bénéficiant d’un cadeau fiscal qui se chiffre à 23 072 euros par an. Ces réformes en faveur des plus aisés sont essentiellement justifiées par de supposés effets de ruissellement, tirant en théorie l’ensemble des revenus à la hausse du fait d’un accroissement de l’investissement ; malheureusement de tels effets sont infirmés par de nombreux travaux récents[9].

Au-delà des faits, ces réformes fiscales inégalitaires crispent les opinions individuelles autour du pouvoir d’achat et créent un sentiment de défiance, empêchant toute réforme structurelle notamment environnementale. De récents travaux[10] soulignent notamment le fait que seuls 10% des français se disent en faveur d’une taxe carbone dont les recettes seraient redistribuées de sorte à la rendre progressive, le principal motif étant la crainte d’une perte de pouvoir d’achat du fait d’une telle réforme. Ainsi, il s’avère primordial d’intégrer dans le projet écologiste la problématique des inégalités et de la redistribution via des mesures à la fois ambitieuses et transparentes.

Intégrer la nécessité de l’équité d’opportunités
dans la lutte contre les inégalités

L’éducation et l’école ont un rôle clé à jouer dans la lutte contre les inégalités : elles peuvent casser le cercle vicieux de la reproduction des inégalités et donner à chacun les mêmes chances à l’entrée dans la vie active. Le meilleur système de redistribution au monde sera toujours insuffisant si le système éducatif crée des inégalités significatives et contribue à les reproduire d’une génération sur l’autre.

Les différences de dépenses éducatives s’apparentent à un transfert fiscal significatif vers certains élèves. En France, les 10% des élèves ayant bénéficié de l’investissement public le plus faible – les élèves quittant le système scolaire dès 16 ans – auront reçu environ 65 000-70 000 euros chacun, tandis que les 10% bénéficiant de l’investissement le plus élevé – ceux effectuant des études supérieures longues au-delà de 25 ans – auront reçu 200 000 à 300 000 euros chacun. La différence pour le décile le plus haut et le décile le plus bas est de plus de 200 000 euros, soit l’équivalent du patrimoine moyen par adulte en France[11]. C’est comme si l’Etat donnait un héritage supplémentaire à certains élèves.

Pas de transition écologique sans plus de justice sociale.

Cette spirale inégalitaire interroge notre capacité à nous écologistes à réaliser la transition écologique que nous portons.

En effet, de nombreuses études ont montré que les dérèglements environnementaux et l’accroissement des inégalités sont des phénomènes qui s’alimentent mutuellement. Le lien entre ces deux dimensions prend de multiples formes, qui sont autant de défis à relever pour mener à bien la transition.

Tout d’abord, les inégalités sociales sont aussi des inégalités environnementales : du fait de leur mode de vie, les individus les plus aisés sont à la fois ceux qui polluent le plus et ceux qui sont les moins exposés aux risques environnementaux. En France, les 10% les plus pauvres polluent ainsi 8 fois moins que les 10% les plus aisés[12].

En outre, les inégalités contribuent à l’aggravation des crises écologiques[13]. D’une part, la hausse des inégalités et la concentration des hauts patrimoines renforcent un modèle de croissance financiarisé et court-termiste qui met en danger les équilibres environnementaux. D’autre part, les inégalités extrêmes tendent à conforter un système de valeurs qui érige en idéal un mode de vie profondément destructeur pour l’environnement.

Comme l’a rappelé la crise des gilets jaunes, une grande partie des politiques climatiques tendent à aggraver les inégalités si elles ne sont pas compensées.  Une récente note du Conseil d’analyse économique a par exemple montré que la fiscalité carbone pesait trois fois plus sur le budget des ménages pauvres que sur celui des plus aisés[14]. La lutte contre les inégalités est donc une condition de l’acceptabilité sociale de l’action environnementale, cette acceptabilité étant elle-même incontournable pour la mise en œuvre d’une transition socio-écologique réellement démocratique.

Les ménages les plus modestes sont  poussés vers une surconsommation de produits bas de gamme,  ce qui nuit à leur santé ou bien être.  Ces importations résultent des coûts inférieurs des pays des sud qui dont les  législations sociales et environnementales sont insuffisantes et bien souvent peu contraignantes ou peu respectées, quand elles ne sont pas inexistantes. Cette exploitation des populations qui ne parviennent pas à sortir de la  pauvreté, peut-être l’une des causes des migrations.  S’y ajoutent des effets écologiques délétères quant aux pollution des eaux, aux émissions de GES (transports et fabrication) sans oublier les énormes  gâchis qui finissent en déchets. 

Enfin, l’Histoire récente a montré que le maintien de forts niveaux d’inégalités contribue à fragiliser, voire mettre en péril la démocratie et par là même nos chances politiques de mettre la transition écologique en action. De plus, les forts taux d’inégalités participent à la polarisation de la vie politique en faveur des individus les plus fortunés dont les intérêts économiques peuvent être contraires aux nécessaires politiques de transition écologique et de préservation de notre environnement.

La transition écologique ne peut donc pas s’envisager sans une profonde réduction des inégalités. La montée des inégalités n’est pas une fatalité à laquelle nous devrions nous résoudre, mais le résultat d’une construction politique et idéologique: il est essentiel que les écologistes prennent à bras le corps ce problème et fassent de la réduction des inégalités un axe fort de leur projet politique.

Motion

Le Conseil Fédéral d’Europe Écologie Les Verts, lors de sa session des 27 et 28 mars 2021, confirme son souhait de placer la justice sociale au cœur de la transition écologique dans toutes les politiques mises en place par un pouvoir écologiste. Les mesures et principes suivant guideront les politiques écologistes :

L’impact distributif sur les revenus et patrimoines des ménages de toute nouvelle taxe ou incitation économique prévue pour accompagner la transition écologique sera analysée et des mesures de redistribution seront mises en œuvre afin d’aider les ménages les moins favorisés. Par exemple, la mise en œuvre d’une taxe carbone s’accompagnerait d’une redistribution des recettes vers les ménages aux plus bas revenus, couplant ainsi la lutte contre le changement climatique et la réduction des inégalités. Il est donc essentiel de décloisonner les politiques sociales et environnementales, c’est-à-dire d’intégrer les inégalités environnementales dans les politiques de redistribution et réduire les inégalités en minimisant l’impact social des mesures de transition écologique. Pour y parvenir nous devons connaître précisément les inégalités environnementales (l’exposition et la vulnérabilité aux risques environnementaux, responsabilité vis-à-vis des dégâts environnementaux/ empreinte écologique) en nous dotant d’outils de mesures et en les cartographiant.

Dans la même idée, nous proposons que notre engagement pour favoriser une consommation à moindre impact environnemental s’accompagne d’une réflexion sur les conséquences sociales que cela entraine pour les pays exportateurs. Dépendants de leurs exportations, ces pays ne peuvent réorienter  leur  économie sans une aide qui compensera la diminution de leurs ressources et favorisera leur transition vers des productions locales au service de leur population. 

Pour en finir avec une politique fiscale uniquement en faveur des plus riches, l’ISF devra être rétabli avec une assiette plus large et un barème plus progressif, avec également moins d’exonération et l’ambition de faire mieux contribuer les plus hauts patrimoines. Ce dispositif viendrait en complément de la taxe foncière (qui elle-même pourrait être améliorée et rendue progressive) qui continuerait à financer les collectivités locales.

La flat tax sur les revenus des capitaux sera supprimée. Son taux fixe actuel favorise les plus aisés au détriment des classes moyennes et populaires. Une fiscalité plus progressive sur tous les revenus sera réinstaurée. Cela implique de redéfinir l’utilité et le maintien de chacune des niches fiscales en fonction des bénéfices sociaux, culturels et environnementaux qu’elles pourraient apporter à la société. Toutes les niches fiscales injustes socialement ou inutiles seront supprimées.

L’impôt sur le revenu pourra être individualisé (suppression du quotient conjugal), afin de rendre les niveaux d’imposition indépendants des choix individuels de mise en couple, et les politiques familiales telles que les allocations familiales redeviendront universelles, et ce dès le premier enfant .

Le système de dons et d’héritage sera amélioré pour moins taxer les petits héritages et prévenir l’extrême concentration des patrimoines chez les plus riches : progressivité de l’impôt sur l’héritage, limitation des exonérations sur les dons importants et des réductions d’impôts en cas de filiation directe.

Le financement de nos collectivités territoriales devra se faire par le biais d’impôts locaux plus justes. La suppression de la taxe d’habitation, dont le financement n’a jamais été réellement défini, fait de la taxe foncière le principal impôt local des ménages. Cet impôt dépend peu du revenu, et est potentiellement inéquitable pour les ménages à bas revenus détenant un bien immobilier. Elle est de plus payée par les seuls propriétaires, de sorte qu’il est possible de résider dans une collectivité en tant que locataire, bénéficier de tous les services publics locaux et n’être soumis à aucun impôt local, même si l’on dispose de revenus substantiels. Il est ainsi nécessaire de réinstaurer un nouvel impôt local, en complément de la taxe foncière, qui réinstaure le lien entre les contribuables et les bénéficiaires des biens publics locaux, et dépende davantage du revenu des résidents des collectivités.

Notre système de prestations sociales devra être réformé, pour limiter une complexité qui engendre du non-recours (éligibles ne faisant pas valoir leurs droits), le rendre plus réactif aux difficultés individuelles (le délai de trois mois pour bénéficier du RSA suite à une baisse de ressources est trop long) et couvrir toutes les populations dans le besoin (exemple : 18-25 ans). La condition de recherche d’emploi pour l’accès au RSA sera supprimée afin d’en faire un véritable rempart contre la précarité. Les minima sociaux devront être revalorisés pour garantir l’accès de tou.te.s aux droits fondamentaux et aux biens de première nécessité.

En parallèle de la mise en place de mesures de justice sociale, la création d’un cadastre financier international est une mesure clé pour permettre aux administrations fiscales de savoir qui possède quoi. Les accords de libre circulation des capitaux ne remplissant pas ces conditions devront être suspendus. La lutte contre les paradis fiscaux, en particulier ceux situés à l’intérieur de l’Europe (e.g. Luxembourg) devra être renforcée.

Au niveau européen, il faut aller vers une harmonisation de la fiscalité sur les sociétés et les patrimoines afin éviter la course déjà à l’œuvre vers le moins-disant fiscal en Europe, qui vide les caisses publiques et contribue à accroître les inégalités.

Afin de permettre un débat éclairé sur les choix d’affectation des dépenses (e.g. entre zones prioritaires et zones favorisées), nous rendrons obligatoire la publication de statistiques sur les inégalités de dépenses éducatives (rémunération moyenne des enseignants par filière, dépense par élève par filière…).

Sur le modèle de ce qui est fait en matière de logement (loi Solidarité et Renouvellement Urbain qui encourage les communes à construire des logements sociaux sous peine de pénalité), les moyens financiers des établissements scolaires peuvent être adaptés par la mise en place d’une dotation dépendante de la mixité en termes de milieu social des élèves. Tous les établissements, publics et privés, seront ainsi incités à atteindre une mixité réelle et seront évalués, financés et dotés en personnel selon ce critère afin de donner plus de moyens à ceux qui en ont besoin.

Enfin, une dépense éducative sur l’ensemble de la vie similaire pour chaque étudiant sera visée, prenant en compte à la fois les dépenses d’équipement mais aussi les moyens humains et pédagogiques (notamment expérience et donc salaire des enseignants). Cela prendra la forme d’un rééquilibrage des dépenses vers le primaire et secondaire en particulier dans les zones défavorisées (réellement et de manière vérifiable), de potentielles dotations pour reprendre des études ou de la formation continue, voire une dotation financière (y compris avant 25 ans).

Pour : 99 ; contre : 1 ; Blanc : 1


[1]Alvaredo et al., Rapport sur les inégalités mondiales 2018 – Synthèse.

[2]Alvaredo et al., World Inequality Report 2018.

[3]INSEE, « Les revenus et le patrimoine des ménages ».

[4]Oxfam, « Rapport annuel sur les inégalités mondiales, « Celles qui comptent » – zoom sur les inégalités en France ».

[5]Cornuet et Sicsic, « Estimation avancée du taux de pauvreté et des indicateurs d’inégalités. »

[6]Contribution sociale généralisée, taxe proportionnelle sur les revenus – donc non progressive – destinée à financer la protection sociale en France.

[7]Les 1% des revenus les plus élevés paient proportionnellement moins d’impôts (45%) que les 40% “du milieu” entre les 50% les plus pauvres et les 10% les plus riches (50-55% de taux global de prélèvements). Cf. le graphique en annexe.

[8]Fabre et al., « BUDGET 2020 ».

[9]Bach et al., « Évaluation d’impact de la fiscalité des dividendes »; Yagan, « Capital tax reform and the real economy »; Boissel et Matray, « Higher Dividend Taxes, No Problem! Evidence from Taxing Entrepreneurs in France ».

[10]Douenne et Fabre, « Opinions des Français sur les politiques climatiques ».

[11]Piketty, Capital et idéologie.

[12]Chancel, Insoutenables inégalités. Pour une justice sociale et environnementale.

[13]Laurent et Pochet, Pour une transition sociale-écologique.

[14]Bureau, Henriet, et Schubert, « Pour le climat ».



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