Exposé des motifs

Les cris d’alarme se succèdent et s’intensifient. D’après une étude publiée en juin 2013 dans Science Advances[1], le taux d’extinction des espèces pourrait être 100 fois plus élevé que lors des précédentes extinctions massives – et encore, ne sont prises en compte que les espèces dont nous avons la connaissance. Certaines ne sont découvertes que dans les collections des musées, trop tard, déjà disparues de (et avec) leur milieu. Ainsi, notre planète recèle encore un nombre indéterminé d’espèces, qui disparaîtront pour la plupart avant même que nous ayons pu les découvrir.

En 2015, une étude à l’échelle européenne[2] révélait que 421 millions d’oiseaux avaient disparu en 30 ans (1980-2009). Et environ 90% de ces pertes concernaient les 36 espèces les plus communes et les plus répandues : Moineau domestique, Etourneau sansonnet, Perdrix grise…

Récemment, “l’Appel des 15000”[3] nous alertait à nouveau sur le risque que « l’humanité ne pousse les écosystèmes au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu de la vie ».

Enfin, le rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services éco systémiques[4] (IPBES, 2019), à ce jour l’analyse scientifique la plus aboutie sur l’état du vivant sur notre planète, estime que le taux d’extinction d’espèces est alarmant avec environ un million d’espèces animales et végétales menacées d’extinction, notamment au cours des prochaines décennies. Cela n’avait jamais eu lieu dans l’histoire de l’humanité.

Le phénomène d’érosion de la diversité biologique a été mis en évidence par la science depuis plusieurs décennies et est devenu un problème public depuis 25 ans[5], notamment suite au Sommet de Rio en 1992, qui a accouché de 2500 recommandations et de trois conventions[6], dont la Convention sur la Diversité Biologique.

La biodiversité connaît donc une érosion sans précédent, menacée par des causes multiples telles que l’artificialisation des sols, la pollution, la fragmentation des milieux, les invasions biologiques[7]. D’une rapidité alarmante, la dégradation de la qualité des écosystèmes est de surcroît amplifiée par les effets du changement climatique.

A la marge des politiques publiques

Si elle fait l’objet de certaines attentions législatives depuis plusieurs décennies, la question de préservation de la diversité biologique figure toutefois parmi les parents pauvres des politiques de transition écologique (le Grenelle de l’environnement n’avait pas échappé à la règle), à l’instar des politiques d’adaptation. En effet, les territoires, et dans une certaine mesure les entreprises, se trouvent enserrés dans une myriade d’injonctions tant environnementales (plan climat air énergie territorial, programme alimentaire territorial, plan de déplacement, gestion des déchets, GEMAPI) qu’urbanistiques (plan local d’urbanisme, plan local d’habitat, SCOT), économiques ou encore sociales. Dans ce contexte, la concurrence entre enjeux publics est très forte, et la question de la dégradation de la biodiversité peine clairement à se faire entendre, et demeure remise à « plus tard », notamment après la gestion des enjeux énergétiques, perçus bien souvent comme plus immédiats, tangibles et maitrisables. Il en est ainsi des zones humides, dont la préservation est encore trop souvent oubliée, des arbres et espaces boisés, et autres milieux moins connus encore… 

Aussi, l’intégration de la biodiversité dans les politiques locales (tourisme, économie, énergie, urbanisme, alimentation…) est aujourd’hui largement considérée comme un effort additionnel, une injonction voire une contrainte « en plus » qui se rajoute à la liste déjà longue adressée aux collectivités. Elle relève jusque-là principalement de politiques territoriales volontaristes en matière de préservation de la biodiversité (mises à mal ici ou là depuis 2015…) ou bien résulte de co-bénéfices induits, volontaires ou non, d’autres politiques sectorielles, comme une sorte de supplément d’âme de politiques déjà engagées[8]. Elle se doit de plus de dépasser des a priori, car souvent elle est souvent l’obstacle de projets d’urbanisation qui apprennent peu à peu à intégrer le principe de compensation – la séquence Eviter-Réduire-Compenser étant encore bien loin des radars de la décision publique.

Besoin de mise en lumière, et de compréhension

La question de biodiversité ne bénéficie pas d’une mise en lumière aussi importante que celle de l’énergie et du climat. En effet, la «COP» climat (Conférence des Parties de la Convention) a bien plus souvent irrigué les médias et l’opinion. Les villes qui ont accueilli les COP biodiversité (Kuala-Lumpur, Curitiba, Nagoya, Hyderabad…) n’ont que peu marqué la mémoire collective alors que dans le même temps, Kyoto, Copenhague ou récemment Paris ont eu leur heure de gloire ou de déshonneur climatique.

La biodiversité a très rarement suscité manifestations et cortèges, à l’exception de l’opposition aux chasseurs. Lueur d’espoir : les jeunes pour le climat fusionnent spontanément climat et biodiversité, ZAD et autre ZAP la mettent en avant…et un grand mécène file 10 patates pour l’Amazonie…

La sphère du vivant apparait manifestement comme une préoccupation secondaire dans les représentations qu’en ont les médias et les opinions, bien qu’elle soit une partie importante de la réponse à ce défi de lutte contre les changements anthropiques globaux et de résilience de nos territoires.

En la percevant non plus uniquement comme un objet mais aussi comme un processus, la biodiversité, dont les capacités d’évolution et les fonctionnalités doivent être maintenues, sert directement la résilience (environnementale, économique, politique, sociale et sanitaire) d’un territoire. Fin ou moyen de la transition écologique, elle apparait comme une de ses conditions nécessaires et ne peut en être dissociée.

Pousser notre expertise

La transversalité et l’approche systémique, juste et légitime, des écologistes n’a sans doute pas suffisamment favorisé une prise en compte de la biodiversité et de ses services éco systémiques dans notre agenda politique à la hauteur de l’érosion que nous constatons. Mais aussi peut-être parce que nous fûmes longtemps les seuls défenseurs de la nature sur le champ partidaire.

Il est sans doute temps d’imaginer de nouveaux modes de faire, axés non seulement sur la préservation mais surtout sur une véritable reconquête, dans tous nos milieux anthropisés : urbain, péri-urbain, rural. Pour cela il nous faut pousser notre expertise, développer nos propositions et construire des coopérations avec l’ensemble du peuple écolo. Prendre pleinement en compte la biodiversité pour ce qu’elle est, les apports des services éco-systémiques, les valoriser, concevoir des trames vertes et bleues à toutes les échelles.

Et éviter ainsi que des ripolineurs ne viennent donner le tempo et proposer de fausses et inefficaces solutions (systématiquement compenser plutôt qu’éviter ou même réduire ; des plantations mono spécifiques plutôt que le réensauvagement…). Et qu’après le développement durable, la biodiversité ne soit la nouvelle tarte à la crème des politiques publiques, qui verront les délibérations locales s’enticher du terme à chaque coin de phrase et d’attendus, sans pour autant être à la hauteur opérationnelle de l’enjeu.

Motion

Aussi le Conseil Fédéral des 21 et 22 septembre 2019 décide :

  • Qu’une commission intitulée «Biodiversité » soit créée au sein du parti EELV. Elle sera dotée d’une liste de diffusion et d’un site web
  • Cette commission aura pour objet de formuler des propositions, de les faire connaître au sein d’EELV et de les faire valider par le Conseil Fédéral et en dehors. La commission pourra aussi soutenir les élu·e·s qui mettront en œuvre les propositions validées et donner une visibilité à leur action.
  • Elle traitera de la biodiversité (écosystèmes, espèces, gènes, dans l’espace et dans le temps, ainsi que les interactions au sein de ces niveaux d’organisation et entre eux) et plus généralement des conditions dans lesquelles s’effectuent les interactions entre les activités humaines et la nature.
  • Elle contribuera à populariser le sujet et à le faire vivre toute l’année, et ce particulier à l’occasion de la Journée Mondial de la Biodiversité
  • Elle s’attachera également à approfondir nos propositions sur les champs de la résilience territoriale, de la santé environnementale, et des atouts « gagnant-gagnant » de la biodiversité en la matière
  • La commission travaillera de manière transversale avec toutes les commissions et pourra constituer plusieurs groupes de travail, le cas échéant avec l’appui d’expertises extérieures, pour explorer les différents champs de solutions.

Pour : 38 ; contre : 17 ; Blancs : 6

[1]            Accelerated modern human–induced species losses: Entering the sixth mass extinction by Gerardo Ceballos, Paul R. Ehrlich, Anthony D. Barnosky, Andrés García, Robert M. Pringle and Todd M. Pa. 19 juin 2015. https://advances.sciencemag.org/content/1/5/e1400253

[2] Common European birds are declining rapidly while less abundant species’ numbers are rising.

Novembre 2014 https://doi.org/10.1111/ele.12387

[3] William J. Ripple, Christopher Wolf, Thomas M. Newsome, Mauro Galetti, Mohammed Alamgir, Eileen Crist, Mahmoud I. Mahmoud, William F. Laurance, 15,364 scientist signatories from 184 countries, World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice, BioScience, Volume 67, Issue 12, December 2017, Pages 1026–1028, https://doi.org/10.1093/biosci/bix125

[4] IPBES, Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, 2019, « Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services » https://www.ipbes.net/sites/default/files/downloads/spm_unedited_advance_for_posting_htn.pdf

[5] La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, tenue à Rio de Janeiro en 1992, signe l’acte de naissance politique du concept de biodiversité (Debray, 2015)

[6] La Convention sur la Diversité Biologique (CDB), la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), la Convention sur la Lutte contre la Désertification (CLD)

[7] Rapport de l’IPBES, mai 2019,

[8] On peut citer pour exemple : les politiques de maitrise foncière visant la préservation de terres agricoles, les politiques de qualité de l’air conduisant à la végétalisation de l’urbanisme, les politiques de l’eau préservant les aires de captage d’eau potable…

 

Télécharger la motion : 

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du Conseil fédéral des 21 et 22 septembre 2019