Adoptée par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 27 et 28 mars 2021

Exposé des motifs

Quatre espèces de grands prédateurs

Depuis 1992 et le retour du loup gris (Canis lupus) dans les Alpes françaises (Mercantour), sa progression constante par sa dispersion sur le territoire français – près de 100 zones de présences permanentes, soit une population estimée à 580 individus en 2020 – s’est accompagnée de situations conflictuelles avec une partie du monde paysan dues à la pression de prédation que le loup exerce sur l’agropastoralisme présent dans ces mêmes territoires.

Parallèlement, les programmes de renforcement de la population d’ours brun (Ursus arctos) dans les Pyrénées ont permis de recenser 52 ours, après un seuil historiquement bas de 5 individus en 1995. Les interactions avec une partie du monde agropastoral sont aussi très tendues.

Le Lynx (Lynx lynx) a une population estimée à environ 150 individus comptabilisés essentiellement dans le Jura. Il est aussi présent dans les Vosges et certains secteurs des Alpes du Nord. Sa présence a pu générer, de façon exceptionnelle, des actes de prédations sur les troupeaux, dans l’usage de territoires communs.

Le chacal doré (Canis aureus), dont la présence est connue depuis 2013 en France, présente un régime alimentaire proche de celui du renard (Vulpes vulpes) et son installation pourrait générer des actes de prédation sur des animaux domestiques dont les volailles et les agneaux.

Malgré les difficultés de cohabitation, ces quatre grands prédateurs, chacal doré, loup gris, lynx et ours brun, ont toute légitimité à vivre dans le territoire national métropolitain.

Des pratiques agropastorales fragilisées

EÉLV défend l’agriculture paysanne et dans ce cadre un agropastoralisme répondant aux principes agro-écologiques.

Ces pratiques contribuent non seulement au bien-être des animaux domestiques qui sont élevés en plein air et nourris à l’herbe, mais elles participent aussi à l’équilibre d’écosystèmes particuliers : les zones de pâturages. Ces dernières lorsqu’elles sont correctement gérées (pas de surpâturage) présentent des intérêts multiples : écologiques, patrimoniaux, paysagers et économiques.

La présence conjointe de troupeaux et de grands prédateurs dans les zones de pâturages génère des situations conflictuelles entre les prédateurs, les bergers et les éleveurs. Si, ces derniers sont obligés de trouver des réponses pour maintenir leur activité, celles-ci doivent être adaptées et proportionnées afin d’assurer le maintien des populations et éviter une nouvelle disparition des grands prédateurs. Après l’éradication du loup du territoire métropolitain et la quasi-disparition de l’ours, les mesures de protection des troupeaux d’animaux domestiques ont été négligées pendant plusieurs générations.

Ces mesures sont cependant indispensables à la mise en œuvre d’une possible cohabitation sur les aires communes pastoralisme/prédateurs. Les grands prédateurs (ours, loup, lynx) sont protégés nationalement et internationalement par des arrêtés ministériels et des conventions (CITES, Berne, Directive Habitat). Le chacal doré ne bénéficie, pour le moment, d’aucune protection si ce n’est qu’il est une espèce « gibier non chassable ».

Depuis près de trente années des mesures favorisant la cohabitation plus ou moins efficaces ont été testées et mises au point :

  • La présence humaine (berger et aide berger) en nombre proportionné à la composition du troupeau et du contexte territorial
  • La présence de chiens de protection proportionnée aussi à la composition du troupeau et du contexte territorial
  • La pratique du regroupement nocturne dans des parcs fixes ou mobiles électrifiés.

Ces mesures peuvent être complétées de mesures d’effarouchement (visuelles, olfactives, tirs non létaux). Ce sont en pratique les seuls moyens à la disposition des éleveurs et bergers.

Néanmoins, en dernier recours, des tirs létaux peuvent être conduits sous un protocole d’intervention strict compte tenu des statuts de protection concernant le loup gris. Tuer des animaux n’est pas anecdotique et ne doit jamais être la solution privilégiée. Ces tirs sont encadrés par le Plan National d’Actions (PNA) 2018-2023 destiné à la gestion de la coexistence des prédateurs lupins et des herbivores domestiques. Les mesures de ce plan ne semblent pas porter de résultats suffisamment probants, tant pour les populations de loups dont la croissance est fortement limitée (réduction d’un tiers au plus) que pour les troupeaux dont certains sont encore fortement impactés.

Motion

Considérant qu’il n’existe pas d’espèce vivante plus légitime qu’une autre pour revendiquer sa place sur notre planète (principe de coexistence).

Considérant que les quatre prédateurs (chacal doré, loup, lynx et ours) présents sur notre territoire national métropolitain sont légitimes pour y vivre et que leur présence contribue à préserver les équilibres écologiques (variation des populations d’ongulés, développement harmonieux de la forêt, réduction de la diffusion des épidémies et pathogènes…).

Considérant que leur présence entre en concurrence sur des territoires de plus en plus nombreux avec les activités d’élevage (dont l’agropastoralisme).

Considérant que leur présence ne peut pas être tenue pour responsable de la déprise agricole ni de la situation économique de l’élevage, avant tout liées à de nombreux autres facteurs

Considérant que cette cohabitation génère de vives tensions dans la société française entre certains protecteurs des grands prédateurs et certains éleveurs, bergers, ainsi que des organisations agricoles.

Considérant les statuts de protection nationaux, européens et internationaux attribués à trois de ces grands prédateurs. Le niveau de protection de chaque espèce est évalué en fonction de sa viabilité sur le territoire national et sur un espace plus large (Europe). Il est révisé régulièrement.

Considérant les différentes mesures prises par les précédents gouvernements pour accompagner ces situations de cohabitation (Plan national Loup et élevage, réseau Ours brun, réseau Lynx).

Considérant qu’il importe de changer de modèle agricole et de sortir d’une agriculture intensive en privilégiant l’agriculture paysanne et biologique.

Considérant que l’agriculture paysanne est le modèle qu’EÉLV défend et qu’il intègre le respect des animaux tant domestiques que sauvages.

Considérant les services environnementaux réalisés par les paysans éleveurs dans les territoires.

Considérant que l’élevage paysan (dont l’agropastoralisme est un élément) est une pratique écologiquement responsable.

Considérant l’échec relatif des politiques publiques pour résoudre les situations de cohabitation.

EÉLV réaffirme :

Europe-Écologie-Les-Verts défend une stratégie volontariste pour assurer le dialogue entre toutes les parties prenantes et œuvrer à une cohabitation réfléchie et la plus apaisée possible.

Nous souhaitons que les solutions ne soient pas dictées par l’émotion, qu’elles reposent sur le principe de coexistence et d’un soutien massif tant à l’élevage paysan qu’au respect de la vie sauvage.

La principale question qui fait débat est celle du partage des espaces entre une présence des prédateurs et des activités humaines, notamment là où se trouvent des activités agropastorales

Le phénomène naturel de la prédation implique qu’il doit être envisageable et acceptable que les éleveurs et les bergers aient les moyens de défendre leurs troupeaux et leurs animaux domestiques des attaques des prédateurs.

Nous reconnaissons le caractère violent, déstructurant et traumatique que peut avoir un acte de prédation sur un troupeau pour les éleveurs et les bergers, voire les particuliers.

Il importe que la cohabitation entre les activités humaines et la présence des prédateurs sur nos territoires trouve son équilibre. La responsabilité humaine est double : protéger les troupeaux d’animaux domestiques (pour garantir la continuité d’une activité économique) et assurer la pérennité des espèces animales sauvages.

Les écosystèmes pastoraux intègrent les activités humaines mais aussi la faune et la flore sauvage. Il importe de veiller à ce que les activités pastorales ne contribuent pas à détruire ces écosystèmes, mais qu’elles participent à leur équilibre, c’est tout le sens du travail du berger. En ce sens, le berger est la clé de voûte de la réussite de cette cohabitation.

L’agropastoralisme est une activité agricole fragile. Elle remplit plusieurs fonctions que nous souhaitons préserver et défendre : de l’entretien de certains paysages à l’alimentation humaine, en passant par des pratiques culturelles spécifiques (transhumance, production laitière en alpage). L’élevage paysan extensif peut être responsable et écologique, contrairement à l’élevage hors sol intensif qui ne subit pas le phénomène naturel de la prédation et participe au mal être animal et humain.

EÉLV demande :

Nous demandons la création ou la revitalisation des comités d’accompagnement départementaux sur l’ensemble du territoire national. En effet la prédation diffère par la nature de l’animal (loup, lynx, ours, potentiellement chacal doré) mais aussi en fonction des territoires et de leurs nombreux contextes locaux (montagne, plaine, forêt, maquis, etc…). La progression de la dispersion des populations des prédateurs doit être anticipée. Ces comités seront ouverts et composés des différents acteurs : bergers, éleveurs, associations de protection de l’environnement, scientifiques, chasseurs, élus. Ils seront chargés du suivi des espèces et de l’appui aux éleveurs et bergers.

Nous demandons que soient mis en œuvre des aides conséquentes, permanentes et systématiques à la protection des troupeaux :

  • La mise en place de formations (formations initiales et formations professionnelles) sur la gestion de situation d’attaques, sur la présence de chiens de protection, sur la connaissance des prédateurs (biologie et éthologie).
  • La mise en œuvre de modules d’enseignement dans les lycées agricoles et les écoles de bergers.
  • La continuité et le renforcement des aides financières pour l’embauche et la rémunération de bergers.
  • La continuité et le renforcement des aides financières pour l’achat de clôtures et la rénovation des cabanes pastorales.
  • La continuité et le renforcement des aides financières pour l’achat et l’entretien de chien de protection.

Nous demandons :

  • Que l’OFB (Office Français de la Biodiversité) communique régulièrement sur la présence des prédateurs (suspectée, probable ou certaine) pour anticiper les probables futurs territoires d’implantation.
  • Que ces données soit centralisées en préfecture et rendues publiques auprès des paysans éleveurs (obligation de moyen).
  • Que des diagnostics de vulnérabilité soient réalisés gratuitement chez les éleveurs qui le réclament et obligatoirement après une première attaque. Un agent de l’Etat (OFB), un naturaliste indépendant et un paysan mandaté par les organisations professionnelles doivent composer le comité d’experts réalisant ces diagnostics.
  • Que les compensations versées après attaque soient conditionnées à la mise en place des préconisations du diagnostic dès la saison suivante, avec une limitation des dérogations. Le non-respect des préconisations suspend les compensations (obligation de moyen).
  • Que des moyens d’accompagnement aux changements de pratiques et d’organisations soient déployés : formations (notamment au sein des CFPPA), informations, échanges de bonnes pratiques, rencontres, expérimentations, plans de communication.
  • Que dans toutes les zones d’agropastoralisme des actions de communications soient entreprises auprès des autres usagers (touristes, sportifs, habitants, élus) afin de les informer sur les conduites à tenir auprès des troupeaux et en présence des chiens de défense.
  • La suppression des tirs de prélèvements : les dynamiques des populations des grands prédateurs ne permettent pas des prélèvements sans raisons risquant de nuire à la survie de chaque espèce.
  • L’abandon des quotas de tirs annuels (110 loups en 2021) au bénéfice d’un plafond afin de ne pas nuire à l’évolution naturelle des dynamiques de populations des loups.
  • Que les tirs de défense ne mettent pas en danger la survie des populations de prédateurs, que ces tirs soient effectués exclusivement sur des animaux en situation de prédation, en cas d’échec des tirs destinés à les faire fuir et hors des zones de protection[1].
  • Qu’ils soient exercés en dernier recours et à titre exceptionnel.
  • L’expérimentation de nouvelles mesures de protection, telles que :
    • L’utilisation de capture de loup afin de les équiper de colliers géo-localisables
    • La création de brigades mobiles d’aide-bergers pouvant soulager les bergers et éleveurs dans les jours suivants une attaque.
  • Un contrôle plus strict et des sanctions exemplaires des actes de braconnage (loup, ours et lynx sont régulièrement visés), mettant fin à l’omerta qui règne actuellement dans certains territoires.
  • Que des obligations de moyens et de résultats sur le suivi des populations des grands prédateurs et les moyens de protection des troupeaux soient clairement définis et rendus public.
  • Que des études scientifiques soient menées sur la cohabitation entre élevage et grands prédateurs selon les différents contextes territoriaux et sur l’impact des mesures en cours.
  • Le maintien des statuts de protection nationaux et internationaux en l’état actuel des dynamiques de population du Loup, du Lynx et de l’Ours
  • L’intégration du Chacal doré dans parmi les espèces protégées (Europe et France)

Pour : 96 ; blancs : 4 ; nppv :1


[1] Parcs nationaux, réserves naturelles, réserves biologiques intégrales.


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